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Vu à la télévision Riez, c’est un ordre !

janvier 2012 | Le Matricule des Anges n°129 | par François Salvaing

Le samedi soir, la guerre des chaînes connaît un pic hebdomadaire. Le samedi soir promet de fortes audiences, donc de grasses recettes publicitaires. Le samedi soir, c’est la baston, depuis que les chaînes existent, et plus encore depuis que les chaînes se multiplient et que le public et la pub s’éparpillent. Le samedi soir, c’est à qui lâchera la plus grosse cavalerie, Les Enfants de la Télé contre Le Plus Grand Cabaret du Monde, Mimie Mathy contre Nagui. Le samedi soir, d’ordinaire, Timothée se met aux abonnés absents. Jusqu’à 23 h et Jour de Foot sur Canal +. (Autour de lui, ricanements : parce que le foot, c’est pas de la grosse cavalerie ? Il ne hausse même plus les épaules à ces avanies d’incultes.)
Par masochiste exception, tout de même, un samedi soir, dès 20h45 il s’y colle. Sur la 3, un de ces téléfilms dont la chaîne s’est fait une spécialité, prévisibles du premier plan au dernier, scénario comme cadrages. Celui-là s’appelle Le Sang des vignes, crimes dans les chais et Pierre Arditi en acteur en pantoufles de service. Sur la 2, Patrick Sébastien, reprenant le filon naguère de Pascal Sevran, fait chanter à un bataillon de revenants Les Années Bonheur. Sur la 1, Laurent Gerra ne s’interdit rien. Timothée opte pour la 1. Tant qu’à faire, boire le calice jusqu’à la lie.
Gerra est un imitateur à la voix et aux traits d’une souplesse exceptionnelle, passant du grave à l’aigu en même temps que du pointu au boursouflé. Si l’on ferme les yeux, on croit entendre les chanteurs, les acteurs, les politiciens qu’il cible, et si on les rouvre, presque on voit ces silhouettes ou ces trognes. Ce soir, Trenet, Hallyday, Dutronc, Cabrel, Renaud, Aznavour… sont du défilé, entrelardés de Lang, Chirac, Giscard, Sarkozy et, du début à la fin, de Dominique Strauss-Kahn. D’où vient qu’en deux heures Gerra n’arrache pas un rire à Timothée ?
Malgré un côté bonnet de nuit et un autre rabat-joie, notre héros aime rire. Dans son for intérieur, à gorge déployée souvent. Ou quand il revoit pour la vingt-cinquième fois To be or not to be, Some like it hot ou Il Sorpasso. Mais aussi aux spectacles régulièrement téléretransmis, de Djamel, Dany Boon ou Gad Elmaleh. Trois types très différents au demeurant. Mais que relie la prise en considération de la folie, non comme un ridicule, mais comme une douleur, et qui, parfois, emmènent leurs sketches et leurs spectateurs au bord de l’abîme avant, d’une pirouette, d’empêcher la farce de virer au tragique. Grand art.
À cent lieues duquel se vautre, ce samedi soir, Gerra. Il n’a pas enchaîné deux imitations qu’il s’est fait comprendre : son objectif sera de caser autant de fois que possible le mot cul. Tel quel, ou, par l’entremise de jeux de mots. Chirac, regardant d’une terrasse de bistrot, passer des femmes de tous les pays d’Europe, se félicite que certes, on n’a plus le franc, mais on a gardé l’écu. Ou Johnny assure, de sa diction très particulière, qu’il aime beaucu l’humour. Gerra fait annoncer à l’une de ses marionnettes la création d’un nouveau parti, le Centre Universel Libertaire, et précise pour ceux qui n’auraient pas compris : Ni gauche, ni droite, tous au CUL ! Gerra aime aussi à l’évidence prononcer les mots caca, nichons, roubignoles. De façon générale tous ceux qui évoquent les organes génitaux, mâles comme femelles. Il a l’air de penser qu’il réalise par là une transgression, voire qu’il esquisse une rébellion.
Vous me promettez d’être sage ? avait demandé Jean-Pierre Foucault, à l’ouverture de la soirée. Clown blanc préposé auprès de l’Auguste, il l’avait présenté en soulignant que Laurent Gerra ne s’interdit rien, que tout est permis ce soir, que ce soir on risque tous notre place. Publicité des plus mensongères, naturellement. Le spectacle n’offrira rien que d’inoffensif pour quelque pouvoir que ce soit. De toute la soirée, le seul qu’on moquera pour le contenu politique de son discours (la Société, elle est pourrie) sera un rappeur de banlieue encapuchonné… Des soirs comme celui-là, Timothée se sent cerné. Sur TF1, d’ailleurs, il est fréquent qu’on lui inflige la douche écossaise. Pleurez, si vous avez un cœur ! Riez, si vous avez de l’humour ! Vagues de catastrophes au journal de Claire Chazal, puis Après le 20 heures, Canteloup ! où cet autre imitateur galvaude un talent comparable à celui de Gerra dans des arabesques censément drolatiques sur l’actualité, mais lestées de l’obligation manifeste de ménager tout le monde et son maître, chèvres et choux.
TF1, soyons juste, n’est pas seule à tenter d’étrangler de nos rires nos embryons de réflexions. Partout fleurissent des bêtisiers, recyclages à l’infini de chutes et de fous rires. Laurent Ruquier (On n’demande qu’à en rire ! l’après-midi sur France 2), convoque des amuseurs débutants, leur impose des thèmes de sketches aussi anodins qu’abracadabrants, et les dresse à l’innocuité. La télé, de ses trois missions d’origine : Informer/Eduquer/Distraire, privilégie sans conteste ni vergogne la troisième, mais en la châtrant le plus souvent de sa charge corrosive. Timothée avancerait comme timide exception récente la série Fais pas ci, fais pas ça, portrait loufoque de banlieusards couches moyennes pychécolos. Le reste du temps, pour pouvoir serait-ce sourire, il entend trop l’injonction de rire que lui adresse l’Ordre.


François Salvaing

Riez, c’est un ordre ! Par François Salvaing
Le Matricule des Anges n°129 , janvier 2012.
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