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Domaine étranger Les muses au pouvoir

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par Thierry Guinhut

Un conte fantastique sur la littérature et une satire sur le monde de l’édition, par l’ingénieux José Carlos Somoza.

Personne n’ignore que le roman est fiction. Mais il sera difficile de trouver un auteur qui nous le dira mieux que Somoza. À cause d’un accident de voiture, l’écrivain Juan Cabo a perdu la mémoire. Il est célèbre, de par ses romans à succès, et grâce à son prestigieux éditeur : un aveugle imposant nommé Salmeron. De retour dans son bureau, il retrouve le carnet sur lequel il a noté son dernier paragraphe : « Je suis tombé amoureux d’une femme inconnue. J’écris en dînant au restaurant La Floresta invisible ». Suit une description inachevée. Voilà qui excite l’imagination de celui qui a obtenu le « prix Bartleby Le Plumitif ». C’est ainsi que Juan Cabo se lance dans une poursuite effrénée, menant l’enquête dans ce restaurant pour écrivains où l’on garde à disposition leurs manuscrits.
Les étages et les jeux de miroirs de la fiction se démultiplient alors. Il s’agit de débusquer les textes des collègues ou aspirants à l’écriture afin d’identifier la femme de la table N°15. Mais existe-t-elle autrement qu’en quelques phrases, que dans l’imagination tronquée de personnages interlopes ? Car tout le monde, y compris Dieu, est écrivain, sans compter que le détective Horacio Neirs, comparé à « une phrase de Flaubert », est également critique littéraire. De plus, l’éditeur Salmero présente à la Foire du Livre de Madrid une maquette géante où l’on trouve « en temps réel » la description et les narrations de la ville sous forme de volumes à suivre. On rencontre une vieille auteure alcoolique qui vit avec son personnage, un poète assassiné, des branches de laurier incomplètes qui livrent des vers des Métamorphoses d’Ovide. La plus étonnante est sans conteste la « Muse Gabbler Ochoa, Modèle professionnel pour écrivains ». Elle est splendide, épiée par les stylos, les carnets des hommes, elle sollicite auprès de Juan Cabo un « viol » théâtral. On découvre grâce à la publication d’un feuilleton à épisodes que l’inconnue a été enlevée et menacée de mort : chacun la croira donc uniquement fictionnelle. Pour sauver cette « Daphné disparue » et changée comme dans le mythe en laurier littéraire, notre écrivain, peut-être « né il y a trente-cinq pages au lieu de trente-cinq ans », devra achever son portrait et son histoire, avant d’ultimes rebondissements…
Dans ce dédale fantastique, le réel paraît autant se construire que s’effacer, tout est écriture et reflet, sans préjudice pour une intrigue menée de main de maître. À ce borgésien plaisir narratif et spéculaire, s’ajoute une dimension satirique. Que penser de cet éditeur qui manipule ses auteurs, pour qui la littérature « redeviendrait anonyme, non par le travail d’une seule personne mais de plusieurs », pour qui « le roman de l’avenir appartiendra à l’Editeur (…) en tant qu’organisateur » et ne sera plus qu’un « conclave de muses en costumes de cadres ». Séduisant ou effrayant ? Quant à cette professionnalisation de la Muse, à une époque où se bousculent les candidats à la célébrité artistique, voilà qui paraît autant manquer de poésie que receler un monde de possibilités qu’il serait peut-être intéressant d’exploiter.
Somoza livre ici un de ses romans les plus efficaces, quand il a parfois tendance, à partir de scénarios prodigieusement inventifs, à s’égarer dans une gangue stylistique et narrative un peu plombée. Ce fut peut-être le cas dans La Théorie des cordes, où les énigmes de la physique permettent non sans tragédie la contemplation du passé, et dans La Dame N°13, où l’on est confronté à un club de Muses aussi dangereuses qu’indispensables aux génies… Mêlant modernité, sciences et mythologie, Somoza est un auteur hautement excitant.

Daphné disparue de José Carlos Somoza
Traduit de l’espagnol par Marianne Million, Actes Sud, 224 pages, 19

Les muses au pouvoir Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.