La Tchécoslovaquie d’avant-guerre voit grandir le jeune Fénix à qui sa nourrice Judit procure les plaisirs de la « touffe de trèfle » et de son « humidité ». Rien de grivois, plutôt une sensualité édénique. Son père, élégant chef d’entreprise, reste lointain ; sa mère, autoritaire, règne sur le « château » à coup de gifles. Mais ce « vert paradis des amours enfantines », pour citer Baudelaire, est menacé par l’invasion allemande, pleine de puissance et de chic au regard de l’immaturité de notre bambin. Malgré les « étoiles jaunes qui brillaient, toutes rutilantes, sur les costumes sombres des gens escortés par les soldats ». Entretemps, le père a disparu « pour ne pas compliquer l’opération de nettoyage des Allemands et à cause de son peu d’enthousiasme à manger les pissenlits par la racine ». Sous l’euphémisme du point de vue, transparaît l’ironie de l’écrivain plus mûr. L’élégie à un âge et un monde disparus se double alors d’un regard critique sur l’Histoire. Comme une sorte de rite initiatique, le petit Fénix vit un an dans la cave familiale, « caverne primitive » le protégeant des bombardements russes, sous le palais changé en hôpital. Une fois la libération, une bombe oubliée aura raison de Judit. L’amitié d’un capitaine russe fournira un éphémère « père de substitution ». Devant les tombes, c’était « juste le moment où il quittait sa peau d’enfant et où il commençait à en revêtir une autre, plus dure et plus résistante ». Le lyrisme autobiographique s’ouvre ainsi sur le roman de formation. Les portes de l’enfance se referment quand les parents fomentent leur exil par la porte de l’Occident. Guéri de son illusion, le père, « communiste athée éclairé par le Siècle des lumières », reste fidèle à l’argent, « sève vitale du XXe siècle ». Pointe satirique en ce « Zoo de Dieu »… Plus tard, l’écrivain, né en 1939, devra, après l’apprentissage d’une nouvelle langue (suite au hongrois et au slovaque) qui fera de lui un romancier, fuir la dictature argentine en 1977, pour s’installer au Canada où il vit aujourd’hui.
Thierry Guinhut
Zoo de Dieu
Pablo Urbanyi
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Jean-Marie Saint-Lu
Actes Sud, 272 pages, 22 €
Domaine étranger Le Zoo de Dieu
novembre 2010 | Le Matricule des Anges n°118
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°118
, novembre 2010.