NRF N°597
Après un volume sur Le Roman du xxe siècle, la NRF poursuit ses tours d’horizon sans quitter, loin s’en faut, la littérature, mais en lui imprimant une coloration plus politique : en réponse à certain « nationalisme nauséabond, spéculant sur le fond toujours sûr du ressentiment et de la nostalgie » et à ses « initiatives les plus démagogiques », ce numéro actualise tout en le détournant le modèle d’un immense succès de librairie, Le Tour de la France par deux enfants de G. Bruno, qui proposait en 1877 « un panorama de notre pays, de ses richesses, de ses beautés » et dont le sous-titre, Devoir et patrie, laissait présager la volonté édifiante. Sous la direction de Stéphane Audeguy, membre du triumvirat composant désormais le comité de rédaction de la revue (avec Jean Rouaud et Philippe Forest selon le principe d’une direction tournante), vingt-cinq collaborateurs – écrivains, cinéastes, musiciens, architectes – donnent donc à lire, en des formes très diverses – du récit à l’entretien, du témoignage à la fiction – leurs réponses, leurs interrogations, leurs coups de gueule : non pas LE tour par conséquent, mais UN tour de la France, le choix de l’indéfini allant de pair avec la pluralité des voix et des histoires qui s’expriment ici, pour former non le monument fixe, figé et colossal de « l’Identité nationale » mais un ensemble kaléidoscopique vivant d’identités singulières que la notion de « patrie » ne peut résumer – notion à laquelle elles échappent, la pervertissant de l’intérieur ou la diffractant en des prismes inédits. On pourra trouver le propos lénifiant – de fait, certaines contributions n’échappent pas au « politiquement correct » quand d’autres tissent des liens assez lâches avec la problématique posée –, mais parodiques (Thomas Clerc), poétiques (Eva Almassy) ou grinçants (Gaëlle Bantegnie, Lydie Salvayre), certains textes ouvrent la problématique à sa dimension sociale, culturelle ou économique, et interrogent la notion d’appartenance, cristallisée par l’enracinement du regard, du corps et de la pensée dans l’espace – rural ou urbain (Mathieu Riboulet, Abdourahman Waberi, Wilfried N’Sondé). La belle méditation d’Yves Ravey sur l’identification – un lieu inexistant dont le souvenir exprime l’essence – répond à la déconstruction opérée par Philippe Forest : « La France ? Une fable, au fond. »
Fictionnelle, mensongère, l’identité est un agencement nécessaire, tressant en un lieu unique de la mémoire la multiplicité des racines, réduisant en une unité factice le morcellement constitutif de l’être. « Liberté, égalité, fraternité » : dans la patrie des droits de l’homme, les slogans font consensus ; la réalité est moins idyllique. Quand faudra-t-il cesser de répéter, avec Montesquieu déjà : « Je suis homme avant d’être Français, et je ne suis Français que par hasard » ?
Valérie Nigdélian-Fabre
NRF N°597
Un tour de France
Gallimard, 266 p., 22,50 €