C’est à un voyage parmi les aspirations secrètes des sens que nous invite Emmanuelle Pol dans son premier roman. Continuant à explorer les thèmes abordés dans La Douceur du corset (Finitude, 2009) – le corps et les rapports amoureux – elle évoque cette fois une liaison atypique entre une jeune femme et un homme âgé.
Tout juste quadragénaire, la narratrice raconte, à la première personne, sa faim de chair vraie, de corps façonnés par le temps. Là où certains « se plaisent à voir les forces de vie éclater dans la jeunesse », elle ne les voit « jamais autant à l’œuvre que dans leur lent et somptueux travail de destruction ». Apprenant à dessiner d’après modèle vivant, elle jette son dévolu sur le professeur, un célèbre sculpteur dont les 70 ans passés incarnent « l’élan vital dans toute sa puissance ». La passion est immédiate tant cet homme, habitué à « manipuler la pierre, le cuir et le fer pour courber, plier et soumettre la matière au gré de ses compositions », sait la prendre, « la prendre réellement, complètement », sait « s’en saisir, la posséder, sans peur et sans arrière-pensée, avec la certitude tranquille que rien ne lui fera plus de bien qu’une bonne queue ».
C’est ce territoire secret de l’intime qu’explore Emmanuelle Pol à travers la façon dont son héroïne s’aventure hors des figures toutes tracées du désir, dévoile cette vérité ancrée dans la chair, dit le vrai sur les sources d’une jouissance qui passe par l’échange intellectuel, la réflexion philosophique, la création. Mais quand le plaisir partagé dans le secret de l’atelier commence à se doubler d’un début de vie sociale, l’aura de l’amant y perd beaucoup. Elle le découvre vaniteux et bien moins détaché des honneurs qu’elle ne l’aurait cru. Alors, il suffira d’une réflexion blessante, de nature raciste, pour que son regard change et que s’enclenche un « coup de foudre à l’envers », une lente déconstruction, qu’elle interroge avec son sens des conflagrations oxymoriques. Un livre tentant de dire ce qui échappe au discours dès qu’on veut circonscrire les mystères de la chair et le grand désordre sans remède de l’amour.
Richard Blin
L’Atelier de la chair
Emmanuelle Pol
Finitude, 128 pages, 13,50 €
Domaine français L' Atelier de la chair
mai 2011 | Le Matricule des Anges n°123
| par
Richard Blin
Un livre
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°123
, mai 2011.