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Domaine étranger Frères de sang

novembre 2012 | Le Matricule des Anges n°138 | par Guilhem Jambou

Un western noir, picaresque et satirique de Patrick deWitt, où l’on finit par comprendre que duo vaut mieux que duel.

Les Frères sisters

L’Oregon n’en finit décidément plus d’inspirer la fiction américaine de notre temps. Tandis que Keith Scribner dépeint avec une grande sensibilité le Nord-Ouest des États-Unis d’aujourd’hui dans L’Expérience Oregon (Lmda N°135), le Canadien Patrick deWitt choisit d’entraîner son lecteur cent cinquante ans en arrière, sur les sanglantes traces des frères Sisters. D’Oregon City, ce redoutable duo pousse ses chevaux jusqu’à Sacramento, n’hésitant pas, si nécessaire, à arracher l’œil infecté d’un de leurs bien braves équidés afin de lui éviter une mort trop certaine. Car la mission que leur a confiée le trouble « Commodore » – descendre le chercheur d’or Hermann Kermit Warm – exige bien des sacrifices.
Pour accomplir leur contrat, Charlie, l’aîné, et Eli, le narrateur, tirent ainsi à tout-va sur quiconque se dresse en travers de leur chevauchée californienne, ce qui n’est pas sans soulever chez le cadet de sombres ruminations existentielles. Plus sensible que Charlie, débauché impénitent qui abat son prochain aussi froidement que le grizzly, Eli entretient, avec lui-même et les autres, de complexes relations. S’il tombe amoureux de la première logeuse ou de la dernière prostituée venues, il n’en devient pas moins extrêmement irritable si par malheur un serveur se moque de son nouveau régime à base de fanes de carottes : « – Je m’appelle Eli Sisters, fils de putain, et je vais te fumer sur-le-champ si tu ne te dépêches pas un peu de m’apporter ce que je viens de te demander. » Personnage mélancolique, perpétuellement second par rapport à son frère, Eli s’inscrit pleinement dans la tradition du tueur désenchanté, souffrant profondément de la douleur que lui et Charlie répandent autour d’eux. Aussi, rien de tel pour se sentir mieux qu’une séance d’onanisme, de profondes interrogations philosophico-morales sur le monde, la famille et le métier de tueur, ou, mieux encore, de mettre à profit les progrès de la technologie moderne dans le domaine de l’hygiène bucco-dentaire : « elle avait elle aussi récemment adopté cette méthode, et elle se dépêcha d’aller chercher son matériel afin que nous puissions nous brosser les dents de concert ».
Point d’angélisme cependant. L’Amérique que deWitt nous donne à voir, celle de la ruée vers l’or, est avant tout une fantasmagorique plongée dans un Far West des plus rudes, où indiens voleurs, sorcières effrayantes, dentistes désabusés et chercheurs d’or devenus fous à cause de la solitude sont un lot quotidien de rencontres, propices bien souvent au meurtre et au sang. Western contemporain mêlant hommage et parodie, Les Frères Sisters se lit aussi comme un roman picaresque où nos deux tristes héros connaissent plus souvent les bas que les hauts. Le conte voltairien se fait d’ailleurs de plus en plus évident tandis que l’aventure s’approche de sa fin et que s’aplanissent peu à peu les tensions fraternelles : « J’entendis Charlie dans la pièce d’à côté en train de se laver dans la baignoire. Il ne disait rien, et ne dirait rien, je le savais, mais le bruit que faisaient les éclaboussures ressemblait à une voix, qui jacassait puis se calmait ; je ne distinguais plus alors que quelques rares gouttes tomber, comme si la voix avait soudain été absorbée dans une silencieuse contemplation. »
Avançant par juxtaposition de scènes et jouissant de remarquables personnages secondaires, Les Frères Sisters est en outre porté par une écriture souple, dont la force principale réside dans les mâles répliques, non dénuées de tendresse cependant. Assurément, l’adaptation cinématographique qui en sera faite – car adaptation il y aura – sera des plus réjouissantes, mélange des classiques de Leone, de la noirceur des frères Coen et de l’excellent Bons baisers de Bruges, chez qui il n’eût pas été dissonant d’entendre tel énoncé : « Et, si Dieu existe, c’est un fils de pute. »

Guilhem Jambou

Les Frères Sisters
Patrick DeWitt
Traduit de l’américain par Emmanuelle et Philippe Aronson
Actes Sud, 360 pages, 22,80

Frères de sang Par Guilhem Jambou
Le Matricule des Anges n°138 , novembre 2012.
LMDA PDF n°138
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