La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Potager enchanteur

avril 2013 | Le Matricule des Anges n°142 | par Blandine Rinkel

Des tomates obèses en guise de bouées, l’écriture du Roumain Razvan Radulescu nage dans un délire scrupuleusement coulé.

La Vie et les agissements d’Ilie Cazane

Dans une Roumanie hétérotopique, un certain Ilie Cazane, grand vivant au parfum mystique, cultive des tomates « grosses comme des courges ». Cette bizarrerie, aucune poudre illicite ne semble en être la cause. Or, un tel phénomène ne peut entrer dans le moule préfabriqué du système judiciaire du Conductador Ceausescu. L’hors-norme, ici-bas, doit être ou justifié ou condamné. La politique arbitraire ne tolère pas l’improbable. Aussi, Ilie Cazane père, innocent en tous points, est-il mis à mort par le gouvernement. Et Ilie Cazane fils d’être abandonné dans les bras de Georgette la mère, en héritier saugrenu de la grâce du père. Voilà le conte comique, voilà la farce tragique. À travers lui, c’est la bêtise des extrêmes que nous donne à penser Razvan Radulescu. Bêtise de la justice et de sa rationalité forcenée, bêtise de la croyance commune en le fait que tout ait un sens, bêtise de la pensée en ligne droite. Radulescu réécrit finalement la misérable histoire de Javert, ici devenu un certain « colonel Chirita », conscient de ce que la culpabilité est toujours truffée d’innocence (« je sais bien que tu n’as mis aucune poudre ») mais ne parvenant pas à accepter la contradiction constitutive d’une telle vérité (« … mais je ne peux pas y croire »). À refuser la contingence, les lois de la raison juridique se font absurdes. Elles manquent le sens en même temps que la joie.
Adéquate au propos qu’elle défend, l’écriture de Razvan Radulescu fonctionne à coups de clins d’œil vivement sentis et résolument pop. Une constellation d’étoiles chaudement colorées sert de couverture ; un chapitre « MTV » laisse la place à un autre « Les problèmes métaphysiques du docteur Chirita » ; le style charrie solennité et trivialité, discours intérieur délié et récit externe structuré, sourire de connivence avec le lecteur et moquerie à son égard. On imagine en fait l’écrivain-réalisateur roumain devant son écran de Macbook, qui s’amuse de la bonne farce Ubuesque.gif qu’il est en train de nous concocter. Ici, la méfiance pointe : la connivence facile et la gouaille railleuse suffisent-elles à faire d’un roman un bon roman ? Avec ce conte bourré d’humour, Razvan Radulescu ne tombe-t-il pas dans le piège Groland de la fausse naïveté, comique à la mesure de sa complaisance, qui gît dans un second degré aussi simpliste que généralisé ?
Non, car ce que l’on retient de l’écriture du lauréat du Prix de l’Union des écrivains roumains en 2010, ce n’est pas tant son humour acerbe que sa manière de loucher poétiquement sur le monde. Un onirisme cotonneux enveloppe la morsure ironique – et la rend belle. Les deux Ilie Cazane, père et fils, sont en fait davantage des Pierrot la lune magiques que des bouffons satiriques. Un air de Fantasio dans les dents, ils s’agitent tous les deux lentement, avec une grâce qu’ils ont la chance de ne pas contrôler, celle-là même qui leur confère le pouvoir de faire pousser des tomates monstres. L’innocence des personnages sauve l’aigreur de la satire qu’ils interprètent : la seule chose qui importe à Ilie Cazane fils n’est pas de mettre à mal la justice ou de tourner en dérision le gouvernement mais bien d’inaugurer « sa machine à lancer des éclairs » et de se coucher dans son « lit musical ». Razvan Radulescul déploie en fait des personnages et des motifs enchanteresques qui ont l’arrière-goût rêveur d’un absurde Queneau ou d’un insensé Boris Vian. Mais d’un Vian qui demeure piquant, d’un Vian qui aurait passé une soirée à se saouler au Pianocktail avec Kafka. Un roman comme une énorme tomate jetée en riant sur un système politique, avec la grâce que confère l’ivresse poétique.

Blandine Rinkel

La Vie et les agissements d’Illie Cazane
Razvan Radulescu
Traduit du roumain par Philippe Loubière
Zulma, 272 pages, 20

Potager enchanteur Par Blandine Rinkel
Le Matricule des Anges n°142 , avril 2013.
LMDA papier n°142
6,50 
LMDA PDF n°142
4,00