Après une scène de torture en prologue qui voit l’agonie d’un homme soupçonné d’avoir trahi la cause révolutionnaire, le roman nous amène à Belfast, où le jeune Paul Goodman a un rêve : devenir un jour champion de snooker. Voilà des années qu’il vit chichement avec sa mère, depuis que son père, membre de l’IRA, a disparu. En quête d’un travail, Paul se présente aux abattoirs, et après un bon bain de sang, est embauché. Il sombre alors dans un univers aussi malsain que nauséeux. Dans cet enfer officient Shank, patron vicieux, et ses deux filles, l’une dingue et violente, l’autre handicapée et dirigeant le travail des ouvriers d’une main de fer. Et ce n’est pas le seul ami de Paul, ironiquement surnommé Lucky Short, lâche, peureux et éternel looser, qui va le soutenir. En parallèle, nous découvrons une boutique de prêteur sur gages tenue par Philip Kennedy, et une autre monstruosité, sa femme Cathleen, obèse et boulimique, alitée en permanence et qui ne cesse de vomir (au sens propre comme au figuré) l’humanité tout entière.
Les deux histoires finiront par se rejoindre, feront le lien avec le prologue, mais si l’arrière-plan politique compte, si la question de l’impossible rédemption nourrit le récit, on retiendra surtout de ce roman l’atmosphère toute particulière, poisseuse, qui s’en dégage, avec ces sortes de freaks aux côtés de sadiques, de brutes ou de traites qui n’en sont peut-être pas. Tout le roman baigne dans une tension latente, à la limite de l’épouvante, mais qui vient en écho rappeler autant les arcanes de l’IRA des années 80 que la misère sociale en Irlande vingt ans plus tard.
Seul bémol à ce roman noir qui sent la mort à chaque page, pourquoi changer de titre pour la réédition poche ? Redemption factory, titre du grand format, avait au moins un sens en rapport avec le récit ; Rouge est le sang, d’une platitude qui se veut vaguement racoleuse ne sert pas le livre. Encore un mystère de l’édition…
Lionel Destremau
Rouge est le sang
Sam Millar
Traduit de l’anglais (Irlande) par Patrick Raynal,
Points Policiers, 224 pages, 7 €
Domaine étranger Rouge est le sang
janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149
| par
Lionel Destremau
Un livre
Par
Lionel Destremau
Le Matricule des Anges n°149
, janvier 2014.