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Domaine français Post mortem

janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149 | par Xavier Person

Dans Ayaï !, Hélène Cixous s’avance au point le plus ultime de son écriture, toujours encore, à jamais et pour toujours.

Ayaï ! cri de la littérature

Je n’ai pas lu un livre et il faudrait que j’en dise quelque chose ? J’ai lu Ayaï, le dernier livre d’Hélène Cixous, je le lisais et je ne le lisais pas, je n’étais pas celui qui lisait le livre que je lisais, comment dire ? Ayaï est un cri, « Ayai ! Ayaï ! », c’est le cri d’Ajax et sa plainte. Un livre peut-il n’être qu’un cri, une interjection, « hélas », « adieu », « hé », « ne m’oubliez pas », « je meurs », etc. Un livre peut-il n’être pas un livre ? Qu’est-ce qu’un livre, qu’est-ce qu’écrire un livre, alors qu’on va mourir, alors que sa mère meurt, alors qu’il n’y a bientôt plus rien, le temps qu’il y ait encore quelque chose, des mots, des mots jetés dans le vide, vers le vide ? Ayaï ! est tout ce que je pourrai dire avant la fin, c’est un livre pour quand tout est fini, ce n’est pas un livre, cela ne peut plus être un livre, il est trop tard. J’ai lu dans le dernier livre d’Hélène Cixous ce que je lis dans ses livres, ses autres livres, je lis le livre qu’elle n’a pas écrit, encore une fois, la possibilité d’un cri muet, au cœur de l’impossible, je lis un livre impossible : « le son qui vient de tout près loin ». Je lis un son ?
Eve est le nom de la mère morte. « Ever » donne « rêve ». Le mot s’il est un son se retourne sur lui-même, fait effet en ce qu’il est. Ce qui est fini n’est pas fini, le son résonne encore longtemps. La littérature, dit ce livre, au départ est un cri. Et à la fin redevient un cri, ne cesse de tendre vers ce cri, par l’appel des mots, du son des mots. Les écrivains sont des oiseaux, reste ce cri ou ce chant, une inflexion dans la langue qui leur est propre, jetés au bord du néant. « Né en » écrit Cixous.

Tombeau pour la littérature.

Ce livre n’est pas un livre sur la mort de la mère de l’auteur. C’est un livre sur la possibilité de la littérature, sa puissance de cri, c’est un cri rendu possible par l’impossibilité même de toute littérature à la fin. C’est dans ce livre le moment où la littérature fait retour sur elle-même, ne s’en remet plus qu’à elle-même. « Littéralité de la littérature », disait Jacques Derrida. Retour à la lettre pour que la lettre fasse effet, à ce point où le tout dernier son est le tout premier son, est un cri, un miaulement de chat, un cri de chouette ou de taupe, le cor de Roland, le premier appel et le dernier : Ayaï ! Venu de si loin et à la fois si près, d’au-delà et d’en deçà du sens. C’est ce qui vient quand on ne peut plus rien dire, quand on ne peut encore rien dire, cela même qui traverse la littérature, depuis toujours.
Les livres ne s’écrivent-ils jamais que pour écrire le livre qu’on ne peut pas écrire ? Pour déjouer la mort ou s’y confronter ? On pourrait même dire, il faudrait pouvoir aller jusqu’à dire, il faut s’avancer vers cela, ce point brûlant, désir de meurtre, de parricide, de plus grande colère au départ de toute colère : derrière la mort du père ou de la mère, n’y a-t-il pas le vœu de lui avoir donné la mort ? C’est insoutenable, c’est de là que partent les rêves ou les cris, c’est l’irreprésentable même, le plus enfoui devenu hymne, devenu rythme, devenu phrase. À ce point où le son d’un mot est un cri.
« Done » dit l’anglais, fichu pour fichu est un don. Ce qui donne la mort donne la vie et réciproquement : « meurt et ressuscite en Donne’s done ». On écrit jusqu’au désastre, c’est la fin, on y est, on n’a jamais été si près de n’être plus et les mots se retournent, un rêve de ruines fait une résurrection, une suite de mots est une puissance de vie, une phrase inouïe est un chant, un poème. Les livres d’Hélène Cixous s’écrivent au bord de l’ultime, à sa pointe, au moment où tout se précipite, comme dans le dernier souffle, dans une légèreté incroyable, quand il n’y a plus rien à perdre, quand il faut y aller, pour de vrai, tout lâcher, tout laisser venir, s’y donner, dans une liberté rêvée, impossible tant qu’on n’est pas mort, entr’aperçue pourtant, effleurée dans certaines phrases écrites on ne sait pas comment, on ne sait pas par qui, on ne sait pas jusqu’où.
Ayaï ! est un tombeau pour la mère et pour la littérature même. C’est un livre qui touche au point où un livre ne peut pas être écrit, dans une sorte de retour ultime sur ce qui fait la littérature, où quelque chose est mis à nu, d’effroyable et de prodigieux, comme si pouvait s’entendre là ce battement d’un cœur battant au cœur de toute littérature, cette insistance, cette « revenance, à travers siècles et langues » d’un battement que la mort n’éteint pas, « cet entêtement du mort à écrire et décrire sa mort » : « le pouls de la vie qui s’entend vivre ». C’est que dans la littérature, dit ce livre, on ne sait pas qui écrit, on ne sait ce qui s’écrit et qui lit, on ne sait que cette incertitude et ce que je lisais à un moment était ce que je ne voulais pas lire, cela m’était venu en rêve, je n’étais pas celui qui lisait ce livre et d’ailleurs il n’y avait pas de livre à la fin.

Xavier Person

Ayaï !, « Le cri de la littérature »
Hélène Cixous
Avec des illustrations d’Abdel Abdessemed
Éditions Galilée, 92 pages, 18

Post mortem Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°149 , janvier 2014.
LMDA PDF n°149
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