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Traduction Laurence Kiefé

février 2016 | Le Matricule des Anges n°170

Euphoria, de Lily King

Euphoria de Lily King raconte l’histoire de trois jeunes et brillants anthropologues dans les années 30. L’époque où cette science était encore neuve, pas vraiment codifiée et toute bouillonnante de courants et d’idées.
Le trio se rencontre en 1933 sur les berges du fleuve Sepik, dans le Territoire de Nouvelle-Guinée, alors sous domination anglaise. Le long de ce fleuve vivent de nombreuses tribus, dont les mœurs et les cultures diffèrent mais que la puissance coloniale cherche à ranger sous une même férule.
Que dit Lily King elle-même de son roman ? « Ce livre est une œuvre de fiction mais il m’a été inspiré par un moment décrit dans la biographie de Jane Howard datant de 1984, Margaret Mead : A Life, et par la lecture systématique de tout ce que j’ai pu trouver sur les anthropologues Margaret Mead, Reo Fortune et Gregory Bateson et les quelques mois qu’ils ont passés ensemble (…) sur les bords du Sepik (…). Si j’ai emprunté des éléments à la vie et aux expériences de ces trois personnes, j’ai raconté une histoire différente. »
Andrew Bankson, un des trois héros, est anglais et, depuis des mois, il essaye de faire en conscience son travail d’anthropologue en étudiant la tribu des Kiona au milieu de laquelle il vit. Mais il se sent si seul et si démuni que tout se dérobe sous ses pieds. Il ne sait plus très bien pourquoi il est là et se heurte sans arrêt au sentiment de son inutilité. Égaré, Bankson est au bord du suicide quand il croise la route de Nell Stone et de son époux, Schuyler Fenwick.
Nell Stone est américaine et déjà célèbre malgré son jeune âge ; son premier livre, qui parle de la grande liberté sexuelle des adolescent(e)s samoans, provoque de vives controverses, bien au-delà du monde des anthropologues. Son époux, Fen, un bel Australien qu’elle a rencontré sur le bateau qui la ramenait aux États-Unis après sa première expédition, n’apprécie guère de se voir ainsi reléguer au second plan…
Bankson est littéralement fasciné par ce couple encombrant qui l’arrache aux affres de son désespoir, rien qu’en piquant sa curiosité.
Nell et Fen ont, eux aussi, de bonnes raisons d’être heureux de rencontrer Bankson. Très ébranlés psychologiquement et physiquement par le séjour qu’ils viennent de faire chez les Mumbanyo, une tribu sanguinaire et cruelle, ces deux-là ont besoin de trouver très vite un nouveau sujet d’étude, plus nourrissant et moins traumatisant. Et lorsque Bankson les emmène chez les Tam, un peuple où les femmes tiennent une place prépondérante, les relations du trio s’embrasent d’une manière inattendue.
À travers la rencontre de ces trois personnages, on perçoit ce que furent les grandes questions anthropologiques de ces années-là. Nell Stone fait corps avec la tribu qu’elle étudie et, pleine d’empathie, noue spontanément des relations pour sentir de l’intérieur ce qui se passe. Bankson, lui, garde ses distances et s’interroge plutôt sur la méthode à adopter pour accomplir sa tâche en tenant compte des remous que provoque sa présence. Quant à Fen, Lily King dit clairement que, pour lui, l’anthroplogie n’est pas vraiment un travail, d’ailleurs, il n’a jamais sur lui ni crayon ni carnet. La raison principale de sa présence, plus qu’étudier une tribu du Sepik, c’est aspirer avec un certain cynisme ce que la tribu lui offre en donnant de son temps en échange.
Mais de quoi Euphoria est-il le nom en l’occurrence ?
Peu de temps après avoir fait connaissance avec Bankson, Nell, qui a perçu son malaise, lui parle du plaisir qu’elle prend à leur métier commun :
« — Y a-t-il un moment que vous préférez dans tout ça ? demanda-t-elle.
— Tout ça quoi ?
— Ce travail.
— Un moment préféré ?
(…)
— C’est ce moment alors qu’on est là depuis deux mois et qu’on croit avoir enfin saisi quelque chose de l’endroit où on se trouve. Brusquement, on a l’impression que c’est dans la poche. C’est une illusion – on n’est là que depuis huit semaines – à laquelle succède un désespoir absolu où on est convaincu de ne jamais rien comprendre à rien. Mais sur le coup, on croit dominer totalement le terrain. C’est un bref moment d’euphorie à l’état pur. »
Cette « euphorie à l’état pur » dont parle Nell Stone fait écho, en moi, à la façon dont j’exerce mon métier de traductrice. Cette excitation qui me soutient tout au long d’un ouvrage et surtout pendant ce qu’on appelle le premier jet dont l’écriture peut être rapide, presque exaltée, ou bien laborieuse et semée d’embûches… mais qui participe toujours d’une appropriation artisanale du texte.
À la fin de ce premier jet, il y a cette euphorie provoquée par le sentiment d’être parvenue au bout de quelque chose, d’avoir capturé dans l’ordinateur sa propre interprétation du roman. Une allégresse qui est toujours – presque – au rendez-vous.
Après le premier jet et cette brève euphorie libératrice, commence le travail de relecture, où se découvre l’ampleur de ce qui reste à faire. Loin de moi l’idée d’en être abattue ; je me réjouis de plonger au cœur d’une tâche minutieuse, un premier passage où le texte de départ n’est jamais loin, puis d’autres où chaque mot est à envisager à l’aune d’un tout, où s’impose l’image du lecteur. Un long travail où il faut choisir, polir, revenir, oublier, reprendre. Un cheminement lent, fait d’allers et de retours mais où on avance, où l’on sait qu’il y aura un terme : le jour où, poussée par les délais de remise, je parviendrai enfin à lâcher ma traduction pour l’envoyer à l’éditeur !
Laurence Kiefé*

*A traduit entre autres Tupelo Hassman, Philip Kerr, Harry Mathews. Euphoria paraît ce mois-ci aux éditions Christian Bourgois.

Laurence Kiefé
Le Matricule des Anges n°170 , février 2016.
LMDA PDF n°170
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