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Domaine étranger Périple en Absurdistan

juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174 | par Éric Dussert

Une jeune Norvégienne visite les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale : un voyage inouï au pays des sables, du marbre et de l’atome.

Bien que domine l’impression que notre planète sublunaire a désormais perdu toute capacité de nous surprendre – le satellite voit tout ! –, une jeune Norvégienne aventureuse nous apporte la preuve du contraire dans un livre éloquent, étonnant et même carrément estomaquant. Sovietistan, c’est son titre, est le recueil des voyages d’Erika Fatland, 33 ans, au cœur d’un univers que la plupart d’entre nous ne connaîtront jamais, et ne verra probablement jamais non plus puisque les équipes de cameramen ne voyant pas l’intérêt de s’y promener – nulle actualité, pas de people – n’y courent pas les dunes. Tout à fait exotiques donc et même un peu venimeux, ces endroits éloignés de nos voies de communication habituelles sont constitués des cinq ex-républiques soviétiques d’Asie centrale rendues à leur liberté, parfois problématique, avec la chute de l’URSS en 1991 : le Turkménistan, le Kazakhstan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et l’Ouzbékistan.
L’intrépide Erika Fatland nous sert de guide dans ce Far West du XXIe siècle, à ceci près qu’il s’agit du Far Est, des contrées désertiques, balayées par les vents autrefois nucléaires des centaines d’essais soviétiques, dirigées parfois, en particulier le Turkménistan, par des dictateurs insanes qui font construire de toutes pièces des villes de marbre blanc (par Bouygues) et imposent la lecture du recueil de leurs « pensées » à tout un peuple, y compris pour obtenir le permis de conduire… Ubuesques et vertigineuses, les pages d’Erika Fatland sont constellées d’anecdotes incroyablement dingues, de récits on ne peut plus cruels, d’images vues vraiment étourdissantes, comme ces embardées économiques qui bouleversent des sociétés traditionnelles déjà largement malmenées par les contraintes politiques du régime stalinien : « Aktou a été fondée dans les années 1960, après la découverte de gisements d’uranium à proximité. Peu de temps après, on s’est aperçu que la région était également riche en pétrole et en métaux, et la ville a grossi. À l’origine, elle s’appelait Chevtchenko, d’après le célèbre poète ukrainien envoyé en exil dans la région par Nicolas Ier dans les années 1840. À l’époque, cet endroit devait ressembler au bout du monde, loin de tout, sans autre bâtiment que la forteresse russe. » Depuis on y a construit des quartiers à l’américaine, et le béton a poussé en même temps que les climatiseurs… Dans L’Ombre de la route de la Soie du voyageur britannique Colin Thubron (Folio, 2010) qui a parcouru les onze mille kilomètres de la Chine à la Turquie, on croisait les fantômes de Gengis Khan et de ses troupes : Erika Fatland complète la description et nous apporte ce qui doit maintenant ne plus quitter notre esprit. Et si c’est un aperçu de l’état de l’Asie centrale, ces terres où le cheval akhal-téké est roi et où, malgré l’éclosion de quelques rares pôles de richesses, la pauvreté la plus tenace règne, cela en dit long sur la vision partielle que nous avons de la marche du monde, des négligences de nos dirigeants et des menées sordides des entreprises internationales qui passent à peu près inaperçues, tandis que Bouygues se goinfre de marchés très substantiels, n’hésitant pas à traiter avec des présidents-dictateurs aussi dingues qu’en Corée du Nord, arme nucléaire exceptée.
Il faut espérer que la mémoire des peuples finira par s’exprimer et que, à l’instar de la maison Bayer (For a better life !) sommée d’expliquer pourquoi elle « commandait des femmes » dans les camps de concentration, seront considérés les cas de ceux qui traitent avec les régimes totalitaires ou profitent des populations qui n’ont pas les moyens de se protéger. De même, il faudra aux scientifiques se pencher sur la civilisation de Merv qui semble avoir été aussi importante que les civilisations babylonienne ou mésopotamienne, dans une région où Strabon décrivait « mille villes » désormais désagrégées, rendues à la poussière du désert où dorment des trésors à peine imaginables, susceptibles de nous apprendre ce que nous ignorons encore de l’histoire de l’homme.
Bref, en mêlant à ses pérégrinations souvent délicates et parfois drôles histoire, géographie, économie, vie politique et culturelle, Erika Fatland nous offre un point de vue passionnant sur ces peuples nomades qui pourraient bien souffrir encore du sort qui leur est réservé. Sera-t-il encore possible d’ici dix ans de rencontrer au Kirghisiztan de vrais Bürkütchüs (hommes-aigles) ? « Les faux posent avec un aigle sur le bras pour se laisser photographier par les touristes. Certains se promènent même en short », se plaignent déjà les authentiques… Alors ? Maintenant que la Chine est bien réveillée, il serait idiot de rester sourd aux appels de l’Asie centrale.
Éric Dussert

Sovietistan d’Erika FaTland
Traduit du norvégien par Alex Fouillet,
Gaïa, 512 pages, 24

Périple en Absurdistan Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°174 , juin 2016.
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