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Quartier libre À quoi pensent les poissons ?

janvier 2017 | Le Matricule des Anges n°179 | par Xavier Person

Article 353 du code pénal

À défaut d’être un poisson, on peut toujours faire des films ou écrire des livres. On pourra toujours faire comme si on ne faisait rien, comme si rien n’advenait. On ferait comme Paterson dans Paterson de Jim Jarmush, qui après que le chien de son amoureuse a déchiqueté le cahier où il consignait ses poèmes, la rassure en lui disant que cette destruction n’est pas si grave, puisque c’est sur l’eau qu’il écrit en fait, en surface de l’eau, autant dire à même l’effacement du poème. Car tout arrive dans un poème, c’est-à-dire rien, rien que ce qui arrive chaque jour de la vie d’un chauffeur de bus à Paterson, c’est de cela que cela part, c’est à cela que cela retourne. « Would you rather be a fish ? »… Préférerais-tu être un poisson, chantonne Paterson lorsqu’il rentre chez son amoureuse à la fin du film, alors qu’un nouveau poème lui vient, après qu’il ne restait plus rien. Car tout arrive à qui sait qu’il n’arrive rien jamais que ce qui vient chaque jour, c’est ce que dit ce film qui changera votre vie.
Si les poissons ne lisent pas de livres, c’est peut-être qu’ils sont faits de la matière de ce que nous écrivons. À la fin d’Article 353 du code pénal, le nouveau roman de Tanguy Viel, après avoir passé 170 pages à lui expliquer pourquoi il a profité d’une partie de pêche pour passer par-dessus bord son coéquipier, le personnage s’adresse au magistrat pour lui proposer d’oublier ce qui est écrit dans ses livres de droit : « Et vos livres plantés là sur les étagères, vous pourriez tous les jeter par la fenêtre. Avec un peu de chance, vous les verriez flotter sur l’eau de la rade. Avec un peu de chance, les poissons les liraient. Mais eux, les poissons ou les algues, vous serez d’accord avec moi, ils n’ont pas besoin de lire des livres pareils, vu que les lois qui les concernent, ils ne sont pas près de les ignorer.  » L’issue de ce roman appartient aux poissons. Rien n’y aura eu lieu de ce qu’on attendait, c’est cela qui aura tout déclenché, c’est parce qu’il ne se passait rien que Martial Kermeur a fini par pousser Antoine Lazenec à rejoindre les poissons qu’ils prétendaient pêcher depuis un Merry Fisher de neuf mètres de long. Il arrive que les choses basculent, on ne peut pas faire comme si cela n’avait pas eu lieu ou bien si. Ce qui advient vient de ce qui n’advint pas. Tout arrive. Cela échappe au jugement des hommes pour s’en remettre à une plus ample justice, celle des poissons en somme, dont vous aurez idée en regardant la mer à la fin de ce somptueux roman.
Les nuages sont des pédagogues, dit un poème de Wallace Stevens dont Paterson garde un livre sur son étroit bureau, dans sa petite maison du New Jersey. Les nuages sont comme des poissons et qui saura dire ce qu’ils veulent dire si jamais ils veulent dire quoi que ce soit ? « regardes-tu un nuage comme tu regardes une pioche  », demande un poème d’Emmanuel Hocquard dans Ce qui n’advint pas, le post-scriptum à son indispensable Grammaire de Tanger. « on peut dire, poursuit-il : ce nuage a la forme d’un poisson. mais on ne dit pas / que ce poisson a la forme d’un nuage  »
Il ne m’arrive rien, répétait en boucle Hölderlin dans sa folie. Ce qui n’advint pas, selon Emmanuel Hocquard, c’est ce qu’on aura oublié. Ce qui ne se conjugue pas, ce qui demeure hors langage, hors grammaire, ce qui s’écoule dans les eaux silencieuses du Léthé. Ce qui n’advint pas est ce qui échappe à la loi du langage, aux livres, c’est sans doute ce que lisent les poissons. C’est un trou dans l’ordre du langage et dans le sens. « Nos vies sont pleines de galets et de ce qui n’advint pas. », dit ce petit livre à lire comme un viatique. Dans ses anecdotes, ses digressions paradoxales et ses vertigineuses apories, Emmanuel Hocquard chevauche l’âne sur lequel on représente Lao-Tseu, assis à l’envers, s’éloignant de l’empire qui a sombré dans la décadence. Ce qui n’advint pas est ce à quoi pensent les poissons qui filent à la vitesse des nuages, cela marque un dénouement. Car l’événement attendu n’a pas eu lieu, c’est ce qui s’inscrit à même chaque récit, c’est bien là ce qu’il s’agirait de pouvoir écrire. Car ce qu’on écrit doit pouvoir s’écrire sur une page blanche à quoi tout retourne, d’où tout procède. C’est à cette puissance que renvoient ce film et ces deux livres dédiés aux poissons.

Paterson, de Jim Jarmusch
Avec Adam Driver et Golshifteh Farahani (1h58)
Article 353 du code pénal, de Tanguy Viel
Éditions de Minuit,174 pages, 14,50
Ce qui n’advint pas, d’Emmanuel Hocquard
centre international de poésie Marseille, n. p., 15

À quoi pensent les poissons ? Par Xavier Person
Le Matricule des Anges n°179 , janvier 2017.
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