Lignes N°52 (Vouloir l’impossible)
À l’impossible je suis tenu » écrivait Cocteau dans son Orphée. René Char, dans le maquis, l’écrira comme le pari mystérieux d’une « lampe inconnue de nous, inaccessible à nous, (mais qui) à la pointe du monde, (tient) éveillés le courage et le silence » (Feuillets d’Hypnos, 5). Le nouveau numéro de Lignes, vers qui cet impossible se tourne, questionne cette volonté politique de résistance, comme celle d’une nuit renvoyée à sa veille insomniaque. C’est du moins la question que suppose Mathilde Girard dans une « Repartie » qu’elle pense avec Nuit debout, comme le moment où être arrêté, c’est « apprendre à parler ; reconnaître dans les mots de l’autre des mots qui vont pour soi (…). Ici suspendues les distinctions de classe ». Cette politique, plus propre à une façon d’inventer un mode d’existence face au réel, que Lacan renvoyait effectivement à son impossible, qu’à celui de se rendre aux attendus d’un réalisme constitué de représentations toujours d’avance biaisées, Frédéric Neyrat la déroule en interrogeant la figure du « thaumaturgique », sujet agissant comme branché aux forces de l’étonnement (d’être, d’exister, de choisir, de regarder, de mourir, etc.). Ses « propositions » et « scolies » se succèdent, exposant comme troisième rapport à l’impossible l’exemple du poème comme « attestation formelle » de ce qui se maintient en lui d’« irréalisé comme tel ».
Cet irréalisé, véritable levier possible contre la toute-puissance, notamment policière ou étatique, Boyan Manchev l’analyse à travers les philosophies de la négativité, pour revenir vers un moment inaperçu de la pensée de la contre-puissance chez Aristote : celui-ci livrerait une pensée de l’impossible non pas comme « négativité du possible, mais comme son envers », soit comme une mobilité qui n’a pas d’instrument, ni de fin, mais qui est l’autre ouvert de la puissance, la résistance comme pari, écrit-il. La figure et l’œuvre de l’écrivain allemand Uwe Jonhson, Michel Surya, enfin, en donne à lire « Les limites de l’impossible » dans les pages d’un roman en cours où l’épuisement devient la figure de la grande puissance, infini de sang touché qui « n’a coûté à personne autant qu’à lui », « écrire ce qu’il aura fallu, lui, qu’il écrive, qu’il n’y aura eu que lui à avoir dû écrire ».
Emmanuel Laugier
Lignes N° 52, « Vouloir l’impossible », 192 pages, 20 €