Rien ne prédestinait Sarah Gensburger, sociologue de formation, à écrire sur les attentats, rien si ce n’est d’habiter le quartier du Bataclan. Mémoire vive est constitué de chroniques presque quotidiennes écrites entre le 27 décembre 2015, date à laquelle le trottoir devant le Bataclan a été rendu aux badauds, et le 20 septembre 2016. Chacune d’elles est accompagnée d’une ou plusieurs photographies prises, pour la plupart, par l’auteure. En presque un an, donc, elle nous montre les changements qui se sont opérés dans un quartier qui a été traumatisé par les attentats, mais qui tente de s’en remettre. Les dispositifs de sécurité disparaissent peu à peu, les témoignages plastifiés en vue de leur conservation remplacent ceux, plus sincères et plus spontanés, des premières semaines… Ces traces elles-mêmes, comme des cicatrices, s’estompent peu à peu au fur et à mesure que la population se remet : d’abord déplacées, elles disparaissent petit à petit. Au grand dam des habitants se développe un phénomène guère observé ailleurs qu’à Auschwitz ou au pied des tours de Manhattan : le dark tourism. Jamais dogmatique, l’auteure se demande à ce sujet si « l’afflux de touristes dans les environ du Bataclan ne relèverait pas en premier lieu d’une déviance morale sordide, mais, au contraire, d’une forme de conformisme moral humanitaire ». Toujours armée de son appareil photo, elle constate et s’interroge, notamment au sujet de la place de la République : autrefois simple rond-point, elle est devenue lieu d’hommages puis, comme en témoigne Nuit Debout, lieu de revendications politiques. Si ce livre est passionnant, c’est parce qu’il montre en quoi les soubresauts qui ont agité cette petite zone en forme de larme s’étirant entre la Bastille et la République sont ceux-là mêmes qui ont agité et agitent encore notre pays.
Éric Bonnargent
Anamosa, 251 pages, 21,90 €
Essais Mémoire vive : chronique d’un quartier, Bataclan 2015-2016
février 2017 | Le Matricule des Anges n°180
| par
Eric Bonnargent
Un livre
Par
Eric Bonnargent
Le Matricule des Anges n°180
, février 2017.