Ulrike, Michael et Vincent forment une famille ordinaire. Ulrike est l’assistante personnelle d’un artiste, Serge Haulupa. Michael est médecin. Croulant sous le travail, le couple délaisse leur enfant, Vincent, qui filme tout le temps ce qui se passe dans la maison. Le foyer se délite, les parents ont besoin d’aide, ils font appel à Jessica, une femme de ménage. Très vite, il y a ceux qui monopolisent la parole, (le père, la mère et l’artiste), et ceux qui parlent peu (Vincent et Jessica). La parole est exacerbée : le temps d’une réplique, la pièce peut passer d’une engueulade de couple à une explication avec Jessica. D’emblée s’établit un rapport de domination. Qui se double d’une forme de condescendance. Créant une frontière entre ceux qui ont fait des études, ont un certain pouvoir d’achat, font un travail plutôt intellectuel, et ceux dont le travail est plus physique, comme Jessica. Le corps de cette dernière va tout de suite être au cœur des débats, car Jessica arrive trempée pour son premier entretien. Dans une scène très surréaliste, Ulrike oblige son mari à dire à Jessica que l’odeur de cette dernière l’insupporte. Il lui sera proposé, sous un prétexte tout à fait faux (la pollution des transports en commun), de prendre une douche chaque jour dans la maison avant de commencer son travail, douche qui sera bien sûr filmée par le fils. C’est par son corps que Jessica va prendre toute la place.
Un cinquième personnage s’invite régulièrement dans la pièce, il s’agit de l’artiste Haulupa, l’employeur d’Ulrike en quelque sorte. En panne d’inspiration, il propose un nouveau projet. « Aujourd’hui nous allons clouer des légumes sur la croix, la viande, c’est trop simple, les végétariens s’en tireraient à trop bon compte… » Le nouveau concept tient dans le fait de vider le frigo d’un cercle d’amis en faisant la cuisine. « Le but est l’épuisement complet de ce tabernacle (le frigo, ndlr) et donc du corps de notre Père sous la forme de pain, ceci est mon corps, l’hostie, la nourriture, le repas, lait, beurre, légumes, tout doit être épuisé. »
L’artiste est absolument odieux et provocateur. Michael finira par jeter le plat de ce repas-concept par terre. Jessica commence alors à nettoyer. Et l’artiste a une révélation : « Je regarde Jessica en train de nettoyer le sol à quatre pattes, tandis que la nourriture de Michael vole autour de moi, et tout à coup, tout est clair : c’est ça que je veux voir. (…) Une femme qui fait le ménage. Une femme qui nettoie tout ce que nous salissons. Notre saleté. La saleté de notre civilisation. C’est de la plastique sociale. »
Il imagine donc une installation avec une machine à cracher de la saleté (de la graisse mélangée à de la poussière et des cheveux), avec au centre, Jessica, sa nouvelle muse en train de nettoyer. Son assistante proteste : « Je ne comprends pas pourquoi nous avons besoin de cet engin, alors que nous faisons tous déjà assez de saleté, chacun de nous est un engin à cracher de la saleté et toi certainement le pire. »
Mayenburg s’en donne à cœur joie, il y a une forme de démesure dans son écriture, pour dénoncer et faire exploser toutes les formes de saletés qui pourrissent notre société occidentale. La saleté dans la famille, qui sacrifie sa jeunesse, les saletés qu’on s’échange, la saleté de l’amour, avec cette vision de l’artiste : « On ne peut pas avoir une femme pour soi seul, on ne peut pas posséder un être humain, espère d’idiot, on peut seulement l’emprunter, et la plupart du temps ce n’est pas gratuit, il faut payer des frais de location. » Les rapports humains semblent tous dominés par des rapports de pouvoir et d’argent. Quant à la place de l’artiste dans la société, elle est posée de façon virulente avec ce personnage de Serge Haulupa, autocentré et destructeur, qui prend par moments des accents de Donald Trump. La pièce se termine par une mise en abîme, l’art ne faisant que se regarder et du coup disparaissant : « ce sera le nec plus ultra de l’art, une œuvre d’art qui se regarde elle-même, la Joconde se voit elle-même et en souriant elle disparaît dans son propre trou du cul ». Laurence Cazaux
Pièce en plastique, de Marius von Mayenburg, traduit de l’allemand par Mathilde Sobottke, L’Arche, 94 pages, 13 €
Théâtre Sale époque
février 2017 | Le Matricule des Anges n°180
| par
Laurence Cazaux
Une Pièce en plastique, pour un grand ménage, par Marius von Mayenburg.
Un livre
Sale époque
Par
Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°180
, février 2017.