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Égarés, oubliés Commedia all’improvviso

février 2017 | Le Matricule des Anges n°180 | par Éric Dussert

Novateur, l’Italien Ettore Settanni (1901-1985) a laissé un livre remarquable et dans l’entourage de James Joyce un souvenir partagé.

Tout s’aplanit dans l’heure plate. » C’est sur cette phrase énigmatique que s’achève la première page du roman Les Hommes gris qu’Ettore Settanni publie chez Rieder en 1937. La préface est de Valery Larbaud, grand italianisant comme on sait. Le critique Ramon Fernandez lui consacre toute son attention dans Marianne le 14 juillet : « M. Ettore Settanni a horreur de la mise en scène. Il nous introduit directement, immédiatement, dans le cerveau de ses personnages. Il entend nous faire saisir, au hasard la chance, les modifications cérébrales des hommes et des femmes (surtout des femmes) qu’il se refuse à nous présenter. (…) M. Valery Larbaud s’attend à ce que le livre de M. Ettore Settanni fasse penser à Joyce. Et il est certain que la construction est la même (…) » Et le critique de souligner « ce je ne sais quoi d’impertinent et de discret, d’audacieux et d’un peu fou qui est un des traits les plus constants de la Commedia all’improvviso ».
Dans la tradition alors déjà gravée dans la pierre de l’atonie prônée par André Gide (Paludes, 1895) ou Henry Céard (Terrains à vendre au bord de la mer, 1906), et juste après Les Lauriers sont coupés d’Edouard Dujardin et Joyce dans l’émergence du monologue intérieur, Les Hommes gris de Settanni vient également s’insérer dans une famille de roman spécifique : celle des fictions qui fournissent en guise de verbe un flot tempétueux et libre, parfois obscur, toujours « pris sur le vif » des pensées et mouvements de l’Homme en pleine effervescence. Parfois de lecture ardue, on pense ici aux expérimentations de Joyce et à tous ces romans, point si nombreux, qui mènent à Andréi Biély et son Pétersbourg, Carlo Emilio Gadda et son Fameux Pastis de la rue des Merles, Robert Arlt et ses Sept fous ou même certains romans d’Arno Schmidt.
Mais qui était Ettore Settanni ?
Dans leur correspondance, Raymond Guérin et Henri Calet évoquent son nom, et dans ses mémoires, Nino Frank (1904-1988), le co-fondateur de la fameuse revue Bifur avec Ribemont-Dessaignes, a tracé une esquisse de Settanni. Peu à son avantage. Frank raconte qu’il avait produit une traduction à quatre mains avec Joyce de son Finnegans Wake. Settanni se serait immiscé et aurait évincé Frank lors d’une publication d’un fragment dans la revue de Malaparte – qui n’aimait pas Frank – et Moravia en Italie, Prospettive (1940). Nino Frank, qui fait la gueule tandis que Joyce jubile, nous apprend toutefois plusieurs choses. D’abord que Settanni, né en 1901, avait fui l’Italie fasciste et qu’il vivotait comme employé dans une libraire italienne de Paris et bricolait ici et là. Et il ajoute qu’il aurait également lésé sa traductrice.
Les amis de Valery Larbaud ont fait le travail de recherche à notre place. Interrogeant le parcours de celui qu’a préfacé le voyageur des lettres. On y apprend qu’enfant il se frotta à la littérature parce que sa famille eut comme locataires de la villa familiale de Capri des émigrés russes, parmi lesquels Gorki, Andreïev, Lounatcharski et Bounine. Plus tard, le jeune homme parcourut l’Europe en tant que journaliste et publia un essai sur le roman contemporain Romanzo et romanzieri d’oggi et des essais romanesques personnels, dont Gianni Randone qui est saisi par la censure : trop cosmopolite. On dit aussi trop… festif. Mais Larbaud trouve le moyen de faire publier Les Hommes gris en France et la réception est bonne : Pierre de Massot, Maurice Blanchot, qui l’oppose à Virginia Woolf dans ses objectifs romanesques, ou Jean Paulhan. En France, il va encore publier Amour conjugal (Rieder, 1939) et Petites âmes mortes (Sagittaire, 1946) qui dit assez son amour des lettres russes, souvenir, peut-être de ses jeunes années. L’ouvrage ne court pas les rues, mais Raymond Guérin doit l’avoir eu en main puisqu’il devait le préfacer en 1940 et lui consacre à parution une chronique dans Juin. Guérin, qui le considère comme « le plus important écrivain de l’Italie depuis Pirandello » (Settanni penche, lui, pour Bontempelli), écrit que Settanni prétendait trouver « un puissant réconfort dans l’amitié attentive de Joyce qui, si sauvage avec presque tout le monde en ce Paris où il habitait lui-même, lui ouvrit toujours la porte et sut l’encourager à poursuivre la réalisation de l’œuvre qui portait en lui ».
Ensuite, Ettore Settanni s’efface du paysage littéraire en France. Il publie encore un roman, des poèmes, un ouvrage sur Joyce, un essai sur Dostoïevski et deux volumes de souvenirs du passage des figures littéraires sur l’île de Capri. Il s’éteint en 1985.
S’il est délicat de détailler ici ses Hommes gris, il nous reste assez de place pour donner un fragment intéressant de son « panorama de la littérature italienne » qui permet sans doute d’éclairer ce livre singulier : « En Italie les nouvelles conditions politiques ont bouleversé les vieilles idées, disons “bureaucratiques” de la vie et de la pensée. Comme manifestation du “nouveau” révolutionnaire dans le domaine de l’esprit, nous avons aujourd’hui l’architecture en général. Mais pendant assez longtemps – et spécialement pendant les dix premières années du Régime fasciste, de 1922 à 1932 – la littérature a continué à faire bande à part, terrain souvent stérile où évoluent les derniers aristocrates, ou encore simple continuation de l’œuvre traditionnelle, qui consiste à reprendre toujours le même héros bourgeois que le roman, depuis le début du siècle, nous avait rendus familier. Et ce héros a désormais une figure bien définie : c’est le véritable héros de la crise, maintenu à flot grâce à l’oxygène de la fiction narrative, témoin de nos chutes et de nos misères, créé pour soulager notre douleur humaine, à moins qu’il n’arrive, par d’autres moyens, à jouer le rôle du clown destiné à nous faire rire et à nous narcotiser avec ses bouffonneries fadies. »
Éric Dussert

Commedia all’improvviso Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°180 , février 2017.
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