Talweg N°4 (le sol)
Talweg est un terme un brin insolite d’origine germanique désignant la ligne d’intersection de deux pentes latérales d’une vallée, vers laquelle se dirigent les eaux courantes. C’est aussi une curieuse transrevue annuelle, sans « contrainte technique, ni formelle pérenne où format, papier, reliure, impression, forment un système architectural propre à chaque numéro ». Revue-laboratoire donc « où se côtoient des propositions plastiques et théoriques, points de vue artistiques, littéraires et scientifiques autour d’une réflexion commune ». Fondée en 2014 par Pétrole éditions, sous la houlette de trois artistes-chercheuses, Audrey Ohlmann, Nina Ferrer-Gleize et Marianne Mispelaëre, Talweg a ainsi décliné les notions de pli, de périphérie et de mouvement. Ce quatrième opus propose une étude de sol. « Le sol, c’est ce que nous apprend l’école, c’est la mémoire et le désir : creuser et construire. Nous marchons dessus, nous apprenons à nous redresser entre la mémoire et le désir, entre un passé qui jamais ne se résout et un futur toujours à actionner » précise l’édito.
Avec La mort à la plage, Benoît Vincent, écrivain-botaniste, herborise entre passé et présent, des traces, des simples médecines et des mots. « Ces paysages étaient inscrits en moi sous la forme d’une petite marque, pas une cicatrice tout à fait, plutôt et plus exactement comme un cal ou un trauma, non pas chargé de douleurs, mais plutôt d’excessive mélancolie. » Des traces, Vincent Chevillon en parsème aussi son texte …raising cai(r)n… dans lequel il est question de (dés)itinérance, de pierre ramassée et transportée d’un lieu à un autre, d’un mot à une image, de cairn à Caïn, de Robinson Crusoé à Michel Serres… Dans Fortune, Clémence Choquet & Mickaël Camio confrontent cailloux et centimes, prenant ainsi « la mesure du “peu” et l’amplitude de ce que couvre le terme de “pauvreté”… » Avec Lecture de terrain qui mêle textes et captures d’écran, Clara Denidet rencontre des « pôeleux » qui arpentent le paysage, détecteur de métaux à la main, à la recherche d’objets anciens : « Partout ce complot hasardeux de brins d’herbe, de feuilles et de pierres. » Les remarques morcellaires sur le champignon de Camille Paulhan offrent un pot-pourri d’amateurs célèbres du XXe siècle de cryptogames, bactéries et autres spores. Parmi eux, Peter Hutchinson, dont l’œuvre la plus connue est « composée d’un élevage de moisissures sur du pain humide recouvert de feuilles de plastique, déposé sur le pourtour du cratère d’un volcan. » Mais aussi le musicien John Cage qui compare la cueillette de champignons à une forme poétique de récolte, ou Henri Michaux et ses expériences hallucinogènes à la psilocybine : « Sur moi, sur mes frontières, avec une grande amplitude des ondes, ou des lignes ondulantes, résistantes, d’énergies pleines. » Une conversation avec la plasticienne Mathilde Caylou nous invite à découvrir son expérience du paysage rural qu’elle refaçonne par ses sculptures de verre. « J’ai penché la tête vers la terre, et j’ai entendu les frottements et les mouvements de tous les vers de terre un peu affolés par le tremblement. » L’archéologue radical, extrait « d’une conversation sur l’histoire », dans le cadre du Banquet du livre de Lagrasse, permet à Patrick Boucheron de s’interroger sur l’autochtonie, la notion d’origine.
De très nombreuses photos, images, une présentation extrêmement léchée, font de Talweg une revue aussi créative qu’élégante. À noter que certaines pages renvoient à des performances vidéos visibles sur son site.
Dominique Aussenac
Talweg N°4,180 pages, 20 €
www.petrole-editions.com