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Domaine étranger Un conte noir

septembre 2018 | Le Matricule des Anges n°196 | par Thierry Cecille

Dans la Syrie martyrisée, Samar Yazbek donne la parole à une adolescente mutique qui observe et tente de comprendre son monde détruit.

Sais-tu seulement ce qu’est une balle magique ? C’est une toute petite balle de caoutchouc transparent. Lorsque tu la jettes au sol, elle n’arrête pas de danser et de rebondir. À l’intérieur, il y a des confettis d’une multitude de couleurs. Je peux te raconter les événements comme s’ils s’entrechoquaient à l’intérieur de cette balle magique, et sans même que tu te rendes compte que je suis en train de jouer avec ». Rima est seule dans un « souterrain rempli de liasses de papier et de restes de matériel d’imprimerie », quelque part dans la Ghouta bombardée, désertée. Elle a faim, elle sait que la mort tourne autour d’elle, menace, viendra bientôt, sous une forme ou sous une autre. Sa mère a été tuée, à Damas où elles vivaient, lors d’un barrage militaire qui a mal tourné, elle-même y a été blessée, son frère, combattant le régime, l’a emmenée là et confiée aux mains d’un ami, avant de disparaître. C’est à cet ami, Hassan, dont elle aimerait pouvoir être amoureuse, qu’elle s’adresse, monologuant, écrivant, dessinant. Elle tente de rassembler les fragments éparpillés de son passé à la fois riche et englouti, de recoller les morceaux d’une histoire que la guerre civile a fait voler en éclats.
Déjà reconnue pour Un parfum de cannelle, Samar Yazbek avait rencontré une audience plus large encore avec Les Portes du néant (voir Lmda N°172) : elle y relatait, dans un poignant voyage au bout de la nuit syrienne, la résistance à Assad et en même temps la longue et atroce agonie des opposants et des populations civiles. Réfugiée en France, elle poursuit son combat en utilisant cette fois-ci l’arme de la fiction. Comment dépeindre la violence, les villes et villages réduits à néant, les corps blessés ou suppliciés dans la torture, l’attente désespérée, la lutte tout aussi désespérée cependant entêtée ? Le choix peut paraître paradoxal : pour dire l’horreur elle donne la parole à l’innocence. Rima, son héroïne adolescente, ne dénonce pas, ne crie pas, ne se plaint presque pas : elle qui, depuis l’enfance, n’a pas réussi ou n’a pas voulu parler, elle qui ne sait que psalmodier le Coran, s’efforce seulement de décrire au plus juste ce qui lui arrive, et qu’elle ne comprend pas. Pour cela elle a recours aux mots mais aussi aux dessins : Le Petit Prince, en effet, et Alice au pays des merveilles, lui servent de viatique dans cette descente aux enfers, cette terrible nekuia, évocation de tous ceux qu’elle a perdus.
Elle imagine des « planètes secrètes », elle dessine à sa manière les lettres de l’alphabet arabe, elle se souvient de son éducation, quasi clandestine, dans la bibliothèque de l’école où sa mère était femme de ménage. Elle parvient à comprendre pourquoi, depuis son enfance, elle la tenait attachée aux montants de son lit, voyant une forme de folie dans sa propension à vouloir marcher sans raison droit devant elle. Mais désormais ce qu’elle se remémore sans cesse, ce ne sont pas des cauchemars dont elle pourrait se débarrasser au réveil mais bien des scènes réelles. Elle revoit « la nudité horrible » des blessés que les tortionnaires, à l’hôpital où elle a été soignée, frappaient plus sauvagement encore, elle revoit « les corps étendus de nombreux enfants en pyjama », victimes d’une attaque chimique, avec « cette écume qui leur sortait du nez, ce liquide orange qui jaillissait de leur bouche et le bleuissement de leurs corps ». Espérons qu’à l’instant de mourir lui a été accordé de voir la rose du Petit Prince plutôt que ce tableau, qui sans aucun doute se reproduit encore aujourd’hui : « Le chien a levé la tête en direction du ciel. Il n’y avait dans la rue que nous deux. Il était en pleine lumière, le soleil dardant sur lui ses rayons, et avant qu’il se mette à courir et s’efface au bout de la ruelle, j’ai eu le temps d’apercevoir ce qu’il avait réussi à extraire des décombres… C’était une main. Pas un dessin de main, non. Une main bien réelle, qu’il tenait entre ses crocs ».

Thierry Cecille

La Marcheuse, de Samar Yazbek
Traduit de l’arabe (Syrie) par Khaled Osman, Stock, 291 pages, 21

Un conte noir Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°196 , septembre 2018.
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