Quand la mort survient et que la détresse risque de submerger ceux qui survivent, on s’empresse de les raisonner – et l’on martèle l’antienne : « Allez, il est temps de faire son deuil ». Jean-Philippe Domecq, dans cette méditation à la fois douloureuse et paradoxalement sereine, se révolte contre cette lâche admonestation, cette échappatoire mensongère. Du deuil, au contraire, il se veut comme le servant, l’observant : « On n’a aucune envie de guérir d’un chagrin – le chagrin est tout ce qu’il y a de fidèle ». Celle que la mort a emportée, c’est Anne Dufourmantelle, psychanalyste et philosophe, son amie depuis plus de vingt ans. Elle s’est noyée en sauvant des enfants, dont le fils de Jean-Philippe Domecq, en plein cœur de vacances estivales partagées, sur une plage de la Méditerranée d’ordinaire paisible. Il est arrivé sur les lieux très rapidement, en compagnie de Frédéric Boyer, l’époux d’Anne Dufourmentelle (qui a tenté lui aussi d’écrire et circonscrire le deuil dans son Peut-être pas immortelle). Il ne cesse de revoir la scène, les secouristes improvisant autour du corps, avec des matelas pneumatiques, « un fragile enclos d’urgence, aux couleurs criardes et joyeuses des jeux de plage », tentant sans succès de la ranimer. Il ne cesse de la revoir : elle gît là, « très concentrée sur sa mort », avec une sorte d’ « aura », « dans sa beauté à elle », « au maximum d’elle ». Il raconte les heures, les jours qui suivent, pendant lesquels il doit aussi, tendrement, partager avec son fils ce que celui-ci a vécu de cette mort. Il fait le portrait de cette amie, décrit sa profonde compréhension des êtres – et l’appétit de vivre de cette femme pourtant « essentiellement mélancolique ». Ces pages sont également un éloge de l’amitié : « Il n’y a pas beaucoup de gens qui nous donneraient envie d’être heureux rien que pour les rendre heureux ». Vivre encore ? « Après. Il y a trop d’après quand on n’en voudrait plus » – mais les mots peuvent au moins esquisser la figure de celle qui, ainsi, est encore présente.
Thierry Cecille
L’Amie, la mort, le fils
Jean-Philippe Domecq
Éditions Thierry Marchaisse, 115 pages, 14,50 €
Domaine français L' Amie, la mort, le fils
janvier 2019 | Le Matricule des Anges n°199
| par
Thierry Cecille
Un livre
Par
Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°199
, janvier 2019.