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Domaine étranger London Calling

janvier 2019 | Le Matricule des Anges n°199 | par Camille Decisier

Écrivain et poète visionnaire, Iain Sinclair cherche une fois pour toutes « le moyen d’en finir avec Londres ». Un hommage colossal, d’une érudition folle.

Quitter Londres

Ma boussole intérieure est flinguée », écrit Iain Sinclair 124 pages exactement avant le tomber de rideau de Quitter Londres, qui après quarante et une années de gestation (1975-2016) vient – peut-être – enfin achever l’œuvre monumentale qu’il a consacrée à la capitale britannique. Si Quitter Londres (The Last London dans le texte, titre plus définitif encore) fait figure, dans la bibliographie en VF de Sinclair, de dernier opus d’une trilogie, le compte est inexact et réducteur, puisqu’en réalité ce ne sont pas moins de dix-huit ouvrages que le poète et romancier né à Cardiff a dédiés à sa ville adoptive : vaste chantier de traduction, auquel se sont vaillamment attelées les éditions Inculte, et particulièrement Maxime Berrée, dont on salue ici le travail de restitution. Restitution d’une langue aussi orale qu’écrite, ciselée mais pleine de la spontanéité de la conversation ; restitution de l’esprit de vagabondage qui fait l’identité propre de ce corpus, et qui est l’outil premier de la psychogéographie telle que Sinclair s’en réclamait avant qu’elle ne devienne un phénomène de mode. D’après la définition originelle de Guy Debord (voir « The Naked City », théorie de la dérive appliquée au plan de Paris), cette mouvance inaugurée par les situationnistes au milieu des années 1950 se voulait « l’étude des lois exactes et des effets précis du milieu géographique, consciemment aménagé ou non, agissant directement sur les émotions et le comportement des individus ». Autrement dit, l’errance à pied permettrait, non seulement de faire l’état des lieux d’une urbanisation aliénante, purement fonctionnaliste et génératrice d’exclusion, mais peut-être même de redéfinir les contours de la ville selon des critères diamétralement opposés. L’errance, état supposément passif, prend avec Iain Sinclair la dimension d’un acte : elle devient un voyage en soi, entrepris consciemment, qui convoque les réminiscences culturelles, prend en stop les fantômes des figures tutélaires qui ont forgé la ville, fait se rejoindre ce qui est de l’ordre du souvenir et ce qui appartient à la pure projection.
Aujourd’hui âgé de 75 ans, Iain Sinclair a passé la plus grande partie de sa vie à écumer Londres, au sens propre, dans une circumnavigation dont l’épicentre serait Hackney, quartier populaire de l’est londonien qu’il s’est choisi comme port d’attache. Dans son tamis s’entrechoquent l’ombre rôdeuse du génial Alan Moore et celle, totémique et tentaculaire, de Sebald ; la sentinelle Jack McFayden, le « paparazzi de la décrépitude  », aussi bien qu’Effie Paleologou, photographe de chewing-gums écrasés, ou Stephen Gill, artiste de la récup’, qui immortalise à l’aveugle la vie secrète des pigeons. Et les anonymes qui font Londres aussi bien qu’ils la défont : le sans-abri dormant dans un sac noir, le Bouddha Végétatif du banc de Haggerstone Park : « Il est hors du temps. Par-delà le langage. Son silence provoque notre parole. Son immobilité, notre mouvement. » Enfin tous ceux dont les bribes d’existence nous effleurent accidentellement : noyé dans les conversations multilingues des joggeurs et des cyclistes, Sinclair utilise cette image géniale de « paysage acoustique intégral », dans lequel chaque culture resterait libre d’ignorer les manifestations de différence des autres, « les petits drames des inconnus en transit qui me laissent partager leur intimité sans que je ne le mérite ni ne le désire ».
Du point de vue de l’érudition, Quitter Londres a pour le néophyte la densité d’un pudding de Noël ; et même les plus fins connaisseurs de la capitale anglaise doivent le trouver roboratif, tant l’esprit arachnéen de Sinclair fait un usage pléthorique des références culturelles, historiques et politiques invoquées par la dérive. Pour alléger un peu cette compacité, il y a les noms de chapitres qui sonnent comme des titres de poèmes (« Barking en chien fou », « Par le poids de l’eau »…) et surtout l’humour grinçant, inconventionnel, provocateur (« C’est à Dartford que Margaret Thatcher, comme Mick Jagger et Keith Richards, a lancé sa carrière d’artiste scénique de réputation mondiale. Une icône momifiée de l’identité britannique. (…) Un automate avec du rouge à lèvres. Insomniaque et hyper-énergisée par des injections régulières d’eau-de-vie écossaise. (…) Les mauvais comportements – pisser dans les cours des stations essence pour l’un, couler le croiseur argentin Belgrano pour l’autre – sont excusés par la fortune extrême »).
Et à mesure que Sinclair épluche sa ville, récoltant précieusement toutes ses « écorces mémorielles », on pressent déjà que sa tentative ultime de quitter Londres sera vaine. Fatalement. Engines stop running, but I have no fear / ’Cause London is drowning, and I, I live by the river…

Camille Decisier

Quitter Londres
Iain Sinclair
Traduit de l’anglais par Maxime Berrée
Inculte, 464 pages, 23,90

London Calling Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°199 , janvier 2019.
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