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Domaine français Emmurée et vivante

mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201 | par Lionel Destremau

Le nouveau roman de Franck Bouysse se joue des registres littéraires avec, comme creuset d’émotions, le martyre d’une jeune fille.

La question du genre littéraire, Franck Bouysse dit ne jamais se la poser avant d’écrire. Ses romans sont tels qu’ils doivent être quand la dernière feuille est écrite. Cependant si, avec Grossir le ciel en 2014, il a atteint une certaine reconnaissance, ce fut avec l’étiquette d’un auteur de « roman noir rural ». Pourquoi pas, puisque Bouysse, s’il avait publié des nouvelles sous forme d’histoires courtes, une trilogie d’inspiration anglaise (Le Mystère H., Lhondres et La Huitième Lettre), a placé la plupart de ses romans dans des univers reprenant différents codes du roman noir (Glaise, Plateau…). Reste que Né d’aucune femme, s’il conserve quelques atours obscurs (des crimes, des victimes, un univers social dur), et une situation géographique rurale, au cœur d’une campagne isolée, semble faire une sorte de pas de côté. L’époque y est incertaine, probablement la fin du XIXe siècle, et le procédé romanesque particulier : un texte à voix multiples s’exprimant à tour de rôle, certaines à la première personne, d’autres par le biais d’un narrateur, avec en son centre celle de Rose, que l’on écoute avec une attention et une acuité renouvelées, livrée par l’intermédiaire de son journal intime qu’un prêtre a recueilli après son décès : « la seule chose qui me rattache à la vie, c’est de continuer à écrire, ou plutôt à écrier, même si je crois pas que ce mot existe il me convient. Au moins, les mots, eux, ils me laissent pas tomber. Je les respire, les mots-monstres et tous les autres. Ils décident pour moi. »
Cette construction complexe du récit pour mieux éclairer, comme par un jeu de lumières diffractées, Rose donc, qui se raconte avec ses mots de paysanne et ceux, des biens précieux, « magiques » dit-elle, qu’elle glane dans les journaux. Rose cette femme-enfant de 14 ans, fille aînée d’Onésime, père épuisé par le labeur de la ferme, qui espérait un garçon pour l’aider et a eu quatre filles. Rose qui se retrouve un jour monnayée dans une auberge, vendue par ce père que la pauvreté et l’horizon définitivement clos devant lui poussent à la pire des extrémités. Rose qui bientôt va subir l’enfer, devenue domestique chez le riche propriétaire d’une forge vivant avec son épouse (invisible, alitée dans une chambre close) dans une immense bâtisse : « le gros type s’est alors tourné vers moi avec un drôle de sourire. À partir de maintenant, tu m’appelleras maître, et tu obéiras à tout ce qu’on te demande, il a dit sur un ton sec. Je savais pas encore ce que représentait ce on. » Rose l’innocente vient d’entrer dans le monde de Charles, le « maître », et de sa vieille mère acariâtre, les figures de l’ogre et de la sorcière…
Sous les yeux de Gabriel, le prêtre qui lit son journal, Rose va alors tout connaître, la violence, l’asservissement, les viols, le mépris et la haine, une découverte macabre, l’enfermement à l’asile… En contrepoint de son histoire, le prêtre Gabriel, Onésime le père, la mère de Rose, Edmond l’homme à tout faire, l’enfant, tous viennent recentrer la focale sur telle ou telle partie de l’histoire de Rose, et ce faisant multiplient la résonance des silences, des faiblesses, des peurs, des culpabilités inavouables, des élans aussi, d’affection, de lien parental indéfectible, d’amour. Sans doute que sans cela, sans cet attachement intime que le lecteur éprouve pour cette jeune fille, ses espoirs, ses regrets, ce qu’elle traverse tout en conservant en elle une part de lumière, le roman aurait pu sombrer dans une veine horrifique facile accumulant les ignominies. Mais chacune de ces voix souligne une forme de corruption, de lâcheté, de soumission à l’ordre établi rendant presque évidentes les actions commises, en même temps qu’elle révèle une chronique sociale aussi cruelle que réaliste, et en laissant la porte entrouverte à un destin différent, une justice enfin possible peut-être.
Dans ce conte noir, servi par une langue qui sait mêler l’oralité et le classicisme, Franck Bouysse a planté un décor minimaliste (une ferme, une demeure obscure, une forge en déclin, un vieux monastère transformé en véritable prison de fous), usant avec parcimonie des éléments naturels, pour privilégier l’humanité de ses personnages, et donner un poids sensible tout particulier à une Rose qui n’est pas près de faner dans nos souvenirs de lecteurs.

Lionel Destremau

Né d’aucune femme, de Franck Bouysse
La Manufacture de livres, 336 p., 20,90

Emmurée et vivante Par Lionel Destremau
Le Matricule des Anges n°201 , mars 2019.
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