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Domaine étranger Une héroïne pas comme les autres

mars 2019 | Le Matricule des Anges n°201 | par Emmanuelle Rodrigues

Par la voix d’une narratrice, porte-parole de sa génération, Michal Ben-Naftali reconstitue le parcours d’une femme énigmatique, rescapée de la Shoah.

L' Énigme Elsa Weiss

Essayiste, éditrice, et traductrice d’André Breton, de Jacques Derrida, de Maurice Blanchot, ou encore d’Annie Ernaux, Michal Ben-Naftali se révèle ici l’auteure d’un premier roman remarquable. La romancière nous donne à lire l’histoire d’une vie écrasée par le poids du passé. En effet, l’existence d’Elsa Weiss nous est racontée par l’une de ses anciennes élèves qui devenue à son tour enseignante, en livre un portrait tout en nuances. Mais surtout, elle entreprend de se mettre en quête de tout témoignage susceptible de le compléter encore. Les étapes de cette recherche s’enchaînent donc aux séquences qui relatent la vie d’Elsa Weiss. Cette manière habile d’enchâsser différents récits permet à la romancière de relier des destins sans liens apparents. Dans un faisceau de correspondances inédites, la narration met en lumière les événements du passé en les faisant revivre. La citation de Walter Benjamin au début du livre éclaire parfaitement la voie dans laquelle le roman nous engage : « Car c’est une image irrécupérable du passé qui risque de s’évanouir avec chaque présent qui ne s’est pas reconnu visé par elle. »
La gageure est ici justement de comprendre, et la narratrice de souligner qu’elle n’aura fait que tâtonner et tourner autour de l’énigme Elsa Weiss, sans la résoudre, et l’aurait-elle pu ? – elle qui n’a justement pas vécu la difficulté de se reconstruire, comme ce fut le cas de son enseignante, rescapée de la Shoah, émigrée en Israël où elle s’évertua à refaire sa vie au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le récit déploie les étapes de l’enfance hongroise d’Elsa, à Kolozsvár, son mariage et l’échec de celui-ci, puis la montée de l’antisémitisme, la persécution de la communauté juive cantonnée dans le ghetto, et enfin, ce qui est au cœur du roman, le procès de l’avocat Rudolf Kastner dans les années 50. Ce dernier fut accusé d’avoir collaboré avec les nazis à l’été 1944 alors qu’il négociait le sauvetage de quelque « mille neuf cents juifs » de Kolozsvár, devant être évacués dans un train à destination de la Palestine. Or, Elsa Weiss en fit partie, et à l’heure du procès, elle se sentit jugée à son tour, subissant l’opprobre et la honte, et à nouveau en proie à la persécution, submergée par un sentiment de culpabilité, qu’elle ne parvint pas à vaincre, elle mit fin à ses jours quelques années après. Les raisons qui ont mené Elsa Weiss au suicide, voilà ce que la narratrice tente de questionner, et confie-t-elle alors : « J’ai voulu toucher les marges de ce qui s’est produit, ce que j’ai imaginé être proche de la réalité, mais qui n’est pas la réalité en soi. (…) Je sais tout et rien. Soit. À partir de ce point, tout est fiction. » Relier cet événement à son vécu d’adolescente des années 70, et l’histoire d’Elsa Weiss, à la sienne, s’avère crucial, quand bien même cela manifeste notamment le malaise d’une société face à la complexité de son histoire.
Le portrait d’Elsa Weiss s’affine au fil des pages, en regard de ce que son ancienne élève délivre d’elle-même, dans un double mouvement de distanciation et d’empathie, mais surtout dans une visée mémorielle et cathartique. La femme qu’elle est à présent, d’avouer : « Elle devint celle à qui la chose était arrivée, et nous qui étions nés deux générations après elle, dans un autre pays, sur un autre continent, ceux qui n’avaient rien à voir avec elle. » Ainsi, nous dit-elle : « Films et commémorations, la littérature et l’université, cinquante ans d’existence m’ont appris à écrire sur la cendre, la boue et le froid, d’une plume ferme et sans trembler. »
Le livre n’est pas non plus sans relever ce qui se révèle in fine à travers le ressentiment d’Elsa, comme une faille : « la conscience officielle, la fierté nationale, Yad Vashem, tout cela suscitait sa méfiance. Le procès et l’assassinat de Kastner furent pour Elsa le divorce définitif. Pour la première fois, elle se sentit trahie. » Et n’était-ce pas justement cette même « conscience officielle » qu’Elsa Weiss se refusait à inculquer à ses élèves ? Celle qui n’a eu de cesse de poursuivre son enquête, s’aperçoit au terme de celle-ci, qu’Elsa Weiss fut une héroïne d’une autre sorte, non pas de celles et ceux qui se sacrifient mais qui le sont, à leur insu. C’est enfin par une allusion à Jean Améry qu’elle mesure alors la portée de « la protestation personnelle de Weiss contre la guérison naturelle, immorale, charriée par le temps. » Et ajoute-t-elle, « Elsa Weiss était morte. Il fallait que je lui invente une vie. Mais comment invente-t-on une vie ? »

Emmanuelle Rodrigues

L’Énigme Elsa Weiss, de Michal
Ben-Naftali, traduit de l’hébreu par Rosie Pinhas-Delpuech,
Actes Sud, 201 p., 21

Une héroïne pas comme les autres Par Emmanuelle Rodrigues
Le Matricule des Anges n°201 , mars 2019.
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