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Domaine étranger Larmes nucléaires

juin 2019 | Le Matricule des Anges n°204 | par Camille Decisier

À quelques kilomètres de Tchernobyl, en pleine zone d’exclusion, un village abandonné reprend vie grâce à une petite tribu de rebelles du troisième âge. Une fable insolite et dérangeante d’Alina Bronsky.

Le Dernier Amour de Baba Dounia

En 1986, au lendemain de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, les habitants des villes et villages alentour, volontairement maintenus dans l’ignorance de ce qui venait de se produire, continuèrent de vivre comme si de rien n’était. Ce n’est que bien après l’accident que l’évacuation fut organisée, sur un rayon de trente kilomètres autour de la centrale. Les déplacés furent « provisoirement » relogés dans des immeubles misérables dans la zone même de contamination, parfois dans des villes nouvelles bâties en urgence, que la plupart d’entre eux ne quittèrent plus jamais. Baba Dounia fait partie de ceux qui, subrepticement et à l’encontre des consignes gouvernementales, choisirent de rentrer chez eux. Au grand désespoir de sa fille Irina, qui vit en Allemagne, la vieille dame s’évertue à faire pousser des concombres radioactifs dans son petit potager, partageant le quotidien d’une poignée de retraités venus repeupler, pour y finir leurs jours, les maisons abandonnées de Tchernovo. Il y a Maria, sa voisine obèse, qui passe ses journées à se vernir les ongles des pieds en rose bonbon et à regarder l’écran noir de sa télévision en câlinant sa petite chèvre. Il y a Lenotchka, qui ressemble à une poupée vieillie ; Petrov, atteint d’un cancer en phase terminale, qui s’est enfui de l’hôpital pour revenir au village. Et Yegor, le mari de Baba Dounia, mort il y a longtemps, dont le fantôme chéri et détesté continue de hanter les rues désertes de Tchernovo.
Dans cette sorte d’EHPAD post-atomique, encore relié (mais plus pour très longtemps) au monde moderne par un antique bus, le temps semble s’être arrêté en 1986. Hormis les rares incursions de quelques biologistes venus faire des prélèvements sur les récoltes du village, personne ne s’y aventure. « Nous faisons peur aux gens. Ils ont l’air de croire que la mort domiciliée dans la zone d’exclusion s’en tient aux frontières que les hommes tracent sur la carte. » Paradoxalement, en choisissant le retour à la terre, même irradiée, et à une autarcie presque totale, les quelques habitants de Tchernovo sont aussi, d’une certaine manière, protégés de la frénésie décadente et absurde de la société contemporaine. « Ce que je n’échangerais pour rien au monde contre l’eau courante ou une ligne téléphonique en état de marche, à Tchernovo, c’est cette histoire de temps. Parce qu’ici, le temps n’existe pas. Il n’y a pas de délai, pas de rendez-vous. Au fond, nos journées se déroulent comme dans un jeu. Nous reconstituons ce que les gens font normalement. Personne n’attend rien de nous. (…) Nous imitons le quotidien, comme les enfants imitent la vie en jouant à la poupée ou à la marchande. » Dans cette microsociété de parias, où les aiguilles des horloges ne tournent plus, où depuis longtemps ne retentissent plus les sonneries des téléphones, la vie se poursuit, envers et contre tout, rythmée par des mariages, des morts, des accouplements. Des crimes, aussi. Seuls s’installent à Tchernovo ceux qui se savent condamnés, et qui ont le courage d’affronter sereinement l’imminence de la mort. Mais un jour, un homme traverse la grand-rue, tenant par la main une fillette en pleine santé…
Née en 1978 au pied de l’Oural, Alina Bronsky a grandi en Allemagne, où elle vit toujours aujourd’hui, sans jamais avoir renoncé à cette double culture ; elle en a fait le creuset de son œuvre littéraire, qui questionne en permanence l’énigme de l’identité mise à l’épreuve de l’émigration. Le très réussi Cuisine tatare et descendance, en 2012, tentait déjà d’y apporter une réponse littéraire ; avec ce nouveau roman, dont la langue claire et solide, sans compromis, dose à la perfection humour et tension dramatique, Alina Bronsky se base sur une réalité historique peu exploitée par la littérature pour signer un petit bijou d’humanité.
Camille Decisier

Le Dernier Amour de Baba Dounia, d’Alina Bronsky
Traduit de l’allemand par Isabelle Liber, Actes Sud, 160 p., 17,50

Larmes nucléaires Par Camille Decisier
Le Matricule des Anges n°204 , juin 2019.
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