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Théâtre De quoi tu frappes ?

septembre 2019 | Le Matricule des Anges n°206 | par Laurence Cazaux

Hedda est un texte sur la violence conjugale, qui « racle la gorge jusqu’au sang ».

Janvier 2017, la Russie vote une loi pour la dépénalisation des violences domestiques. L’émotion provoquée par cette information pousse Sigrid Carré-Lecoindre et sa complice de théâtre, la metteuse en scène et comédienne Lena Paugam à s’emparer du sujet. Elles se plongent alors dans l’un des premiers faits divers de violence conjugale très médiatisé en 1987, l’histoire d’Hedda Nussbaum, de son conjoint Joël Steinberg et du meurtre de leur petite fille adoptive de 6 ans, Lisa. Mais en prenant de la distance avec ce fait divers particulièrement brutal. Le prénom de la protagoniste, Hedda, qui signifie combat, est gardé. Il raconte d’une certaine manière les coups endurés. Les écrits d’Hedda Nussbaum traversent également la pièce : son livre autobiographique, Survivre au terrorisme intime et ses contes pour enfants, notamment l’histoire du castor qui voulait se construire une maison sous terre pour être à l’abri de tous les ennemis. Sans jamais imaginer que l’ennemi pouvait venir de l’intérieur.
Sigrid Carré-Lecoindre dit commencer l’écriture par de nombreux poèmes avec des intuitions de couleurs. Pour Hedda, la couleur en question était le bleu, celui des bleus au corps bien sûr, mais aussi de l’eau, du froid, du poison ou du foyer.
La pièce, et c’est l’une de ses richesses, est à la fois âpre et poétique. Elle mêle le théâtre (les mots de l’homme, de la femme et une voix intérieure) et le conte (la voix de la narratrice). Impossible de lâcher ce texte. C’est une plongée en eaux troubles d’une tension émotionnelle forte.
L’auteure propose en permanence des hypothèses. Dès la première page, elle met en jeu plusieurs débuts, comme pour nous dire, est-ce que l’on sait comment ça commence tout cela ? La première (comme la seconde séquence) se conclut par « Il y a toujours DEUX histoires. Toujours DEUX – points de vue. Tout dépend de quel côté l’histoire arrive. D’où / on la regarde ARRIVER. » Elle veut éviter les raccourcis, les simplifications, les jugements hâtifs. Elle fait parler les monstres qui pleurent à l’intérieur, en leur posant cette question : DE QUOI/ TU/ FRAPPES ? Pour elle : « Le sujet véritable c’est celui-là : comment la violence peut naître dans l’amour, comment elle parvient à s’en nourrir. Ou plus exactement, comment amour et violence finissent par devenir interdépendants. Or je crois que ce sujet de l’évolution du contrat initial dans le couple, ce sujet de l’effritement de l’amour et de la mise à nu des rapports de force quels qu’ils soient, concerne tout un chacun. »
Avant les coups physiques, il y a les coups bas. La description de cet enchaînement est implacable. C’est une lente montée dramatique. « Plongez subitement une grenouille dans l’eau bouillante, et elle s’échappera d’un bond, Plongez là dans l’eau tiède, portez l’eau degré par degré à ébullition, et elle mourra ». On assiste à ce lent supplice. Jusqu’au premier coup donné. Quand tout dérape. Puis le désir du conjoint de se faire pardonner. Et le moment où tout recommence, de façon encore plus implacable. « Elle disait : Plus les coups pleuvaient, et plus l’amour pleuvait – C’était une alchimie exponentielle. Insoutenable. »
Musicienne de formation, Sigrid Carré-Lecoindre parle de composition pour l’écriture de ses pièces. Le bégaiement du personnage principal est une matière rythmique et sonore extrêmement travaillée. La langue est trouée, heurtée, construite comme une partition. Ainsi, l’usage des majuscules est un marqueur d’intensité sonore. Les barres obliques et les tirets, des indicateurs rythmiques d’espace et de temps.
Le bégaiement est peut-être la chair de ce texte qui souffre de ne pouvoir dire les mots, qui crève du silence qui entoure cette violence domestique. « Une boule de colère montait en elle. Un amas de mots, coincés les uns dans les autres, comme un livre entier de rage. Et toutes ces lettres entremêlées lui raclaient la gorge, jusqu’au sang. »
Nous assistons à une longue descente aux enfers d’une femme qui bégaie sa vie. « Pp-pp-pas de mot, pas de mot/ Pp-pp-pour quoi ?/ Pas de mot, pour ça-ne sais pas POURQUOI Ne sais pas dire pourquoi ! Ne sais pas dire TOUT COURT – Pourquoi TOUJOURS le pr-pr-premier mot bloque/ est si dd-dd-difficile – ppp-pp-pourquoi c’est – tt-tt-tt-ttoujours le PREMIER mot le pp-pp-plus difficile – à – parler – ppprrt – (…)/ pp-pp POUSSE toujours un peu plus LOIN l’im-PASSE dans la gorge (…)  ».

Laurence Cazaux

Hedda, de Sigrid Carré-Lecoindre
Éditions Théâtrales, 104 pages, 14,50

De quoi tu frappes ? Par Laurence Cazaux
Le Matricule des Anges n°206 , septembre 2019.
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