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Domaine étranger Un monde qui s’effondre

avril 2021 | Le Matricule des Anges n°222 | par Lionel Destremau

Sur plusieurs décennies, le drame d’une famille et, en miroir, d’un pays ; ou comment Jurica Pavicić écrit le bouleversant roman noir de la Croatie.

Qu’est-ce qui change radicalement un pays ? : une révolution ou une guerre. Qu’est-ce qui change le destin d’une famille ? : une disparition tragique. Nous sommes en 1989, en septembre, deux mois à peine avant la chute du mur de Berlin qui va entraîner un effet domino et voir exploser l’essentiel des pays du bloc soviétique. Dans un petit village balnéaire croate, à Misto, une fête bat son plein, et une jeune fille, Silva, 17 ans, disparaît. Une enquête est lancée, confiée à un inspecteur de Split, petit-fils d’un héros qui autrefois accompagna Tito. On soupçonne Adrijian, le fils du boulanger avec qui Silva a eu une aventure ce soir-là, mais en vain. On interroge Brane, son petit ami officiel, mais son alibi le disculpe. On fouille tout le secteur à la recherche d’un corps, mais sans succès. La famille de Silva se mêle, elle aussi, aux recherches, et à cette occasion le père, Jakov, et le frère jumeau, Mate, découvrent certains secrets d’une jeune fille qu’ils ne connaissaient pas si bien que cela, tandis que la mère, Vesna, sombre dans une lente dépression. Et puis… le temps passe. Silva reste introuvable. Un témoin croit l’avoir vue dans une gare routière, l’enquête est relancée : ce qui était peut-être un crime ne serait donc qu’une fugue ?
Difficile pourtant de creuser dans cette voie, car le pays est en train de s’effondrer, la monnaie est dévaluée, les usines ferment, jusqu’à ce que le communisme se disperse en miettes et qu’une guerre civile emporte la Croatie, la Serbie, la Bosnie dans le ballet des armes. Une jeune fille disparue n’est plus alors une priorité… Les soldats quittent la base militaire de Misto, le policier est démis de ses fonctions, les recherches pour retrouver Silva s’enlisent… Le père tombe au chômage et finit par abandonner, la mère ne lui pardonne pas et le couple se sépare. Seul Mate, le frère, continue d’y croire et avale les kilomètres, traversant les frontières, disposant des affichettes partout, s’accrochant à la moindre rumeur, persuadé qu’un jour, un indice lui révélera où est partie sa sœur.
Entre 1989 et 2016, le lecteur suit ainsi tout autant les tours et détours du drame familial et humain qui secoue tous les personnages, que les métamorphoses de ce coin d’Adriatique malmené par l’Histoire. Car au fil des ans, le pays se transforme. La guerre se termine, faisant ses martyrs comme toutes guerres. Au socialisme et aux rêves d’indépendance ont suivi des régimes qui ont versé dans un capitalisme de plus en plus marqué, cherchant à ouvrir le pays au tourisme international. Les habitants de Misto ont continué de vivre en ressassant le mystère de cette disparition, le village de pêcheurs dépérissant, jusqu’à ce que des promoteurs ne s’intéressent à cette plage si accueillante de la côte dalmate. La bulle spéculative immobilière a beau éclater en 2008, les vieilles idéologies ne résistent pas au pouvoir de l’argent, et une société de timesharing jette son dévolu sur Misto. Le voile se lèvera enfin sur l’énigmatique disparition de Silva… Mais avant cela, cet argent se sera déversé sur le village provoquant les querelles qui formeront le terreau d’une nouvelle haine : « Dans les prochaines décennies, ils coexisteront dans une hostilité sourde, qu’ils transmettront à leurs enfants et à leurs petits-enfants jusqu’à ce que chacun, dans un avenir pas si lointain, ait oublié pourquoi tout cela un jour a commencé (…), ce qui ne veut pas dire que la haine en sera amoindrie. Simplement celle-ci, vidée de son sens, constituera un état permanent, un peu comme la coqueluche ou les rhumatismes. Elle restera tapie, elle vivotera en silence, comme une infection en terres marécageuses, une malédiction sourde et sèche retentissant dans une pièce vide. »
Qui était véritablement Silva ? Quelle vérité enfouie se cache encore dans les ruelles tortueuses du village ? Un frère peut-il se construire, des parents rester debout, en laissant le trou béant d’une disparition les avaler peu à peu ? Le pays se relèvera-t-il des ruines de la guerre civile ? Les mouvements souvent antagonistes des bouleversements d’un conflit, parfois cruels ou violents, mêlés aux rancœurs collectives et aux silences assourdissants, et les failles intimes qui viennent détourner des vies de leur destin tracé, voilà les matières premières qui font l’âme tourmentée de ce beau roman. Jurica Pavičić, en s’attachant à quelques individus d’une même lignée et d’un même village, retrace la grande Histoire par le prisme de ce fait divers qui ne déclenche rien à lui seul mais, obscur fantôme, accompagne les changements profonds d’une Yougoslavie ayant, comme Silva, fini par disparaître.

Lionel Destremau

L’Eau rouge
Jurica Pavičić
Traduit du croate par Olivier Lannuzel
Agullo, 364 pages, 22 

Un monde qui s’effondre Par Lionel Destremau
Le Matricule des Anges n°222 , avril 2021.
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