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Domaine français Sur le théâtre des opérations

avril 2022 | Le Matricule des Anges n°232 | par Jérôme Delclos

Fan de la Callas, Sophie Rabau nous livre avec Embrasser Maria sa biographie en trompe-l’œil. Bluffant.

Sophie Rabau, sorbonnarde, spécialiste de l’intertextualité à qui l’on doit L’Art d’assaisonner les textes, n’aime rien tant que « lire contre l’auteur », à la lisière de la théorie et de la fiction. Elle est aussi fan d’opéra, d’où Embrasser Maria, le premier titre de la collection « Les Audacieuses » des Pérégrines : « Des écrivaines mettent leur univers romanesque au service d’une réécriture de la vie de leurs héroïnes ».
Le propos ne manque pas d’ambition, rien moins qu’ « inventer Maria » dit Rabau dans ses Remerciements. C’est le tour de force de ce roman : la fan de la Diva, infidèle mais par amour absolu, nous promènera dans les méandres d’un labyrinthe narratif où il nous sera compliqué de distinguer le vrai du faux, l’authentique de la pacotille, les faits… du fake. Le titre, la couverture – belle photo de la Callas dans des couleurs passées de chromo rose et bleu (une clé) – pourraient laisser croire au lecteur, et surtout à la lectrice à qui la collection semble d’emblée s’adresser, à de la guimauve, un roman à l’eau-de-rose ou la bio d’une people. Clin d’œil, les « loukoumia de Syros » mentionnés comme en passant : « ce sont des sortes de bonbons, un peu comme des pâtes de fruits, très sucrés…  » Des loukoums, quoi. On crawle dans le sirop, indice en fait de l’ironie de l‘autrice, tout comme les titres des chapitres « Papier glacé », « I feel pretty », « Un régime avant l’été », etc. Pour parodier Véronique Sanson, « Exclusivement féminin », non ? D’ailleurs tenez, le chapitre 5 s’intitule « La réunion Tupperware »… Et là… on commence à rougir de se sentir, tout de même, avoir été mené en bateau. Mais pourquoi la Diva n’aurait-elle pas pour de bon assisté à une réunion Tupperware, après tout ? Le lecteur se prend soudain à douter, se secoue. C’est de l’opéra, son décor de carton : ouvrir l’œil, ne pas s’assoupir sur le velours pourpre.
Le pitch, ou plutôt le livret remis par l’ouvreuse : « Sophia  », l’amie intime de Maria Callas, totalement absente des médias et des innombrables biographies de la Divine, nous dévoile sa vraie vie. L’enfance, les concerts, la gloire, un Onassis plus grec que nature, la vieillesse, toute la légende y passera. « Mais de moi, qui connaissais l’envers des mots et des photos, il n’était jamais question », se plaint la narratrice dans le premier acte. Et c’est une passion jalouse et exclusive que nous suivons tout au long du livre, et qui nous emporte avec brio dans un vertige amoureux (il y aura même du sexe). Maria s’y matérialise devant nous dans une sublime épiphanie charnelle. Grosse ou mince, belle ou laide, forte ou fragile, « masque » ou visage, elle s’y présente en sainte, mais qui aurait été peinte par Botero. Elle est toujours grosse, même maigre « parce que pour les gros, la maigreur, ce n’est qu’une manière d’être gros à l’envers ». Ou bien plutôt parce que Rabau en fait une déesse, une géante à la façon de la « Roberte » de Klossowski ? Tout ce qui a trait au corps de la Callas est à la fois sublimé – elle reste une icône ou une idole – en même temps que restitué à son poids d’existence ordinaire, voire triviale. « Un rot ou un pet c’est vite arrivé quand on chante  ». Rabau Sophie ou bien « Sophia », insensiblement, nous balade, à nous en faire oublier l’essentiel : avec Maria, « On jouait surtout à se déguiser », glisse la narratrice. Alerte rouge : on mène avec l’autrice, comme elle nous l’a appris, une partie de poker menteur. Rabau bluffe, et nous nous demandons en permanence si le jeu que nous avons reçu d’elle nous donne quelque chance de la battre. Il y a des coups incroyables, des morceaux de bravoure comme les chapitres « Faire l’amour avec Maria », ou « Silence », moins de quatre pages qui méritent déjà à elles seules de lire le livre. « Bien sûr que chaque fois que Maria Callas se taisait et restait là j’adorais la regarder ne pas chanter, parce que je voyais alors la musique ramassée comme un chat prêt à bondir ».
La fin du roman est pleine de surprises. On se demande comment Rabau nous aura à ce point roulés dans la farine. On réclame un jeu neuf, les cartes fraîches sorties de la cellophane, et pas biseautées. On se remet à la lecture depuis le début, en surveillant les expressions de l’adversaire. Puis ses mains, pour voir si elle triche.

Jérôme Delclos

Embrasser Maria
Sophie Rabau
Les Pérégrines, 161 pages, 18

Sur le théâtre des opérations Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°232 , avril 2022.
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