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À la pointe Monsieur meuble

janvier 2023 | Le Matricule des Anges n°239 | par Gilles Magniont

Appelé à de hautes responsabilités, Pierre Mondot ne pourra désormais s’acquitter de sa chronique qu’un mois sur deux. Respirons avec lui : il est temps de prendre le large, là où la littérature innove, invente, expérimente – à la pointe.
L’heure est aux bilans de fin d’année, et à ce jeu-là l’emporte haut la main Connemara, élu livre 2022 préféré des lecteurs de Télérama. Son auteur fait encore merveille sur les réseaux : le voilà, dans Elle du 9 décembre, sacré L’ultime Cyrano d’Instagram  : « Et si le garçon le plus désirable de 2022 n’était pas un acteur, un chanteur ni un play-boy professionnel ? » Du côté d’Actes Sud et de Françoise Nyssen (interrogée dans Marie Claire), il n’y a là rien d’étonnant : Nicolas Mathieu est « un gentleman, un écrivain du sensible, avec une sensibilité qu’on pourrait qualifier presque de féminine ».
Hé ho direz-vous ça fait beaucoup. C’est que vous n’avez pas lu Connemara, ou trop vite. C’est par exemple que vous auriez oublié comment le narrateur y fait corps avec le personnage d’Hélène, qui n’en peut plus de réveiller les filles et du cabinet de consulting, et comment il la suit jusque dans sa Volvo où, cachée par un épais rideau de pluie, elle retrouve « l’emploi de son sexe ». L’amorce de ces deux paragraphes semble classique – « Alors, elle fit remonter sa jupe sur ses cuisses moites…  » –, le climax s’avère un peu plus déroutant – « elle jouit d’un coup, un plaisir clair et situé, qui fit sa décharge neutre » –, mais surtout, entre les deux, il y a cette étape capitale : « Sa chatte s’ameublit ». S’ameublit ? C’est-à-dire qu’elle devient plus meuble ? Le Larousse Agricole ne laisse aucun doute, qui représente l’ameublissement comme une action par laquelle le sol est divisé et rendu moins compact.
Illustrer la langue : lui donner son lustre, l’enrichir, la renouveler, voilà déjà la tâche que se proposaient les poètes de la Pléiade. Est-ce pour accomplir cette mission que Nicolas Mathieu est sorti du cadre un peu contraignant de la littérature de genre ? Possible, sauf que l’intrigue policière d’Aux animaux la guerre (2014) n’empêchait pas ces moments de poiêsis, ces paragraphes où la prose donne à voir de terribles attelages : ainsi lorsque s’y appariaient les corps adolescents de Jordan et Kydie, et que cette dernière était caractérisée comme « adroite et très belle », « révoltante et humide », « brillante et massive », alors que « Sa chatte était compliquée, brûlante, elle avait un goût intérieur et prenant ». N’en doutons plus : la chatte constitue dans ces romans le lieu même du trope, l’endroit où le tableau social se noue à l’esthétique, comme vient encore le confirmer Leurs enfants après eux (2018). Cette fois, nous accompagnons Anthony et Steph dans la nuit et dans l’Opel Kadett, et la culotte de Steph est « en coton et toute simple ». La métaphore ne manque pas à l’appel – « Sa chatte était un bain » – mais elle n’est pas un simple ornement dissocié des préoccupations du peuple. « Il sentait l’odeur de la chatte (…). Et puis sous la peau, il y avait le roulement moelleux de la chair, le travail de chaudière, intense, puissamment rotatif. » : ici derrière les figures du corps celle du chauffagiste, comme ailleurs celle de l’agriculteur. Ailleurs, mais pas très loin, puisque, dans cette même scène des Enfants après eux : « A travers le tissu de sa culotte, il sentait le sexe de la jeune fille qui, progressivement, s’ameublissait. » On appelle ça un univers.
Il y avait la femme puissante, la femme-sorcière, etc. : avec sa sensibilité propre, Nicolas Mathieu forge donc la femme meuble. Si la chose littéraire fait effet sur nos représentations et partant sur nos existences, il est permis de se demander combien des 180 000 acheteurs de Connemara verront leur parcours sexuel augmenté par ces climax lexicaux (le plébiscite des lecteurs de Télérama offre à ce sujet un début de réponse). Mais s’il nous est permis de formuler in fine une réserve, on marquera quand même quelque borne à cette extension des imaginaires. « Sa chatte s’ameublit », ça ne parle pas à tout le monde. On pourrait alors échafauder d’autres récits, plus inclusifs : mettons Le Corps en Aventure, où l’on découvrirait l’humanité profonde de ces gens modestes et attachants qui écoutent Julie Pietri en rêvant à d’autres vies, et qui, à l’instar de Dominique, protagoniste du BTP non binaire, se terrassent parfois le cul.

Gilles Magniont

Monsieur meuble Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°239 , janvier 2023.
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