1938 : Odön von Horvath, réfugié à Amsterdam, y publie cette Jeunesse sans Dieu. Né à Fiume, élevé à Budapest, reconnu à Berlin pour plusieurs pièces de théâtre caustiques, il est un exemple représentatif de cette Mitteleuropa littéraire avec Roth, Musil, Schulz… qui va disparaître bientôt. Lui-même mourra coup du sort ironique ou salvateur sur les Champs-Elysées, le 1er juin de cette même année, de la chute d’un arbre durant une tempête ! Son antihéros, professeur d’histoire-géographie, parviendra lui aussi à échapper à la dictature hitlérienne mais à sa manière, plus ambiguë, entre courage et lâcheté. C’est cet homme médiocre qui prend en charge, à la première personne, sous forme de journal intime, ce récit souvent haletant, comme au bord de l’essoufflement : courtes phrases, courts chapitres, dialogues vifs et parfois presque énigmatiques, tant ils comportent de dissimulation, d’implicite. Il a eu le culot de ne pas souscrire tout à fait à la propagande qu’il doit relayer, en osant affirmer, lors de la correction d’un devoir, que « Les nègres aussi sont des hommes » dès lors, le piège menace : son « humanitarisme fumeux » pourrait lui valoir le pire. Faisant profil bas, il parvient à rester en poste mais doit accompagner certains élèves dans un camp de vacances, militarisé bien sûr (« Nous sommes tous en campagne. Mais où est le front ? ») où les adolescents feront l’épreuve de la discipline mais découvriront aussi la sexualité et la rivalité : un crime y sera même commis. Il se débattra dès lors, dans la solitude, entre l’angoisse et ce qui lui reste de conscience morale, contre cette « peste » qui gagne : « Nos âmes sont pleines de noirs bubons, elles mourront bientôt. Puis nous continuerons de vivre, et pourtant nous serons morts ». Alors qu’autour de lui la plupart y cèdent et fêtent, dans l’enthousiasme, « l’anniversaire du plébéien en chef », quelques rencontres ressuscitent parfois son faible espoir. Mais le répit est de courte durée et il ne reste que la fuite : il accepte d’aller enseigner en
Jeunesse sans Dieu d’Odön von Horvath, traduit de l’allemand par Rémy Lambrechts, Christian Bourgois, « Titres », 204 p., 7 €
Poches Mauvaise herbe
février 2007 | Le Matricule des Anges n°80
| par
Thierry Cecille
Un livre
Mauvaise herbe
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Le Matricule des Anges n°80
, février 2007.