Asymétrique, suggestif et très secrètement beau, le cinquième livre de Carole Darricarrère. Sous un titre - L VE - matérialisant l’œil de cyclone autour duquel il s’enroule, c’est bien d’amour qu’il s’agit, de ce rêve qui s’actualise : amour de l’amour, instants miraculeux d’assomption, vie secrète… « Nous allions dans les agapes, sidérés, de fascinations en éclipses, survivants du lieu odorant de l’amour ». C’est l’intensité de cette lumière noire que cherchent à réfléchir les poèmes. Des absolus brefs, un état d’intranquillité conjuguant la force de l’éprouvé à la féerie des contes. Des archives de chair portées par l’onde du temps - « Tous les amours se perdent de vue non pas dans la brutalité des faits mais dans leur antériorité ». Des configurations mobiles, une façon d’être à la fois homme, femme, fée, déesse ou esclave. Des vérités où implose la légende de l’amour. « En creux et en avant-première se distinguait le pré carré de l’extinction de tout sentiment, la terre basse et le sol dur, délivré de ses fruits et de ses fleurs ». Des phrases tendues comme un arc, des images comme surexposées, pour tenter de cerner ce qui dans l’amour est pure fascination, interruption du langage, perte d’identité, nuit. L’amour est un conte qui finit toujours par exiger des comptes. « Il est des comptes à partir desquels il n’y a plus de rebours possible ».
C’est autour de cet impossible, de ce trou noir que prend corps L VE. Autour de cette « voyelle mère » qu’il tourne, comme le texte tourne autour du poème. C’est cette beauté dissonante, cette cantate éclatée qui sont ici l’objet du désir d’écrire. Écriture latérale relevant d’un toucher quasi musical, « Glissante clameur glamour de mots troubadours dans le repli parfait de la chair ». Écriture dansée s’élevant avec des brûlements d’ailes dans un ciel de rêve, « volutes paroles » d’où s’échappent « en boucles volubiles et longues, d’incontrôlables châteaux de voyelles nubiles, d’obligeantes consonnes cavalières bottées d’intentions nobles déroulant velours tapis jacinthes saisons bouclées de parfums éphémères ».
L VE de Carole Darricarrère, Ragage éditeur, 90 pages, 16 €
Poésie Pas de deux
octobre 2007 | Le Matricule des Anges n°87
| par
Richard Blin
Un livre
Pas de deux
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°87
, octobre 2007.