Pour pouvoir se soustraire au déluge sonore qui ne cesse de nous assaillir, Joël Gayraud aimerait que le tragus, ce petit triangle de chair situé à l’entrée du conduit auditif, se transformât en une paupière « rétractable à volonté », une mutation qui permettrait à tout un chacun de n’entendre que ce qui l’intéresse, à l’exemple de ce qui le requiert, lui, dans les 336 fragments – de l’aphorisme à la note plus développée – de ce livre qui fait suite à La Peau de l’ombre.
Il y est question de tout : du statut des objets, de la langue – « la demeure mouvante de l’être » –, du tabou du porc, de la « puissance émerveillante d’ébranlement » de la poésie, des raisons pour lesquelles la Vierge Marie apparaît souvent amputée des deux mains dans les statuettes la représentant… À ces thèmes se mêlent des observations ironiques sur le « rabâchage colorié de l’existant » chez Andy Warhol, la complaisance que manifestait Cioran à son égard ou les euphémismes qui font plus de mal que de bien comme d’appeler l’aveugle « non voyant », le condamnant à une double cécité « en le privant de la vision divinatoire en surcroît de la vision sensible ». Ces sujets s’entrelacent à des réflexions sur l’oubli, la représentation graphique de l’infini, le style de Céline. S’y mêlent aussi des appels à la « contamination généralisée des âmes » face à « l’hygiène mentale » et même des mises en garde : « La barbarie ne s’annonce pas toujours sous une forme barbare. Elle peut n’apparaître d’abord que comme une régression mineure de la civilisation. » Un roboratif bonheur de penser tant, pour Joël Gayraud, la poursuite de la vérité et celle de la volupté sont « inséparables »
Richard Blin
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La Paupière auriculaire, de Joël Gayraud
Éditions Corti, 264 p., 19,50 €
Domaine français La Paupière auriculaire
mars 2018 | Le Matricule des Anges n°191
| par
Richard Blin
Un livre
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°191
, mars 2018.