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Traduction Vincent Raynaud*

mars 2023 | Le Matricule des Anges n°241

Chambres séparées, de Pier Vittorio Tondelli

Chambres séparées

(Nouvelle Traduction)
Editions Seuil

J’ai découvert l’œuvre de Pier Vittorio Tondelli avec Chambres séparées et, quand j’ai lu le livre pour la première fois, j’étais plus jeune que les personnages du roman. Ironie du sort, au moment de le retraduire vingt ans après, j’étais plus âgé, j’avais plus d’expérience en toutes choses (j’avais même eu des enfants et publié un roman), et le récit tondellien avait entre-temps acquis une nouvelle signification.

Chambres séparées est le dernier roman de Tondelli. Dire qu’il est crépusculaire serait une facilité. Il y est certes question de perte et de deuil, mais plus encore de reconstruction : son personnage principal, Leo, passe de la lumière à l’ombre puis, d’une certaine manière, retrouve la lumière. Ce n’est pas un texte inachevé, c’est un roman qui n’a pas de véritable fin, plutôt une sorte de cliffhanger, comme on dit aujourd’hui. Mais il n’y aura pas de suite : Tondelli est mort en 1991 à l’âge de 36 ans et ne publiera plus que son Weekend postmoderno. Cronache degli anni ottanta – des essais – avant de disparaître.
En France, le roman paraîtra au Seuil en 1992, traduit par Nicole Sels et publié par François Wahl, que l’insuccès des titres précédents (Les Nouveaux Libertins, Pao Pao et Rimini), n’a pas découragé. Chambres séparées est le grand livre de Tondelli. C’était aussi le grand roman des années sida, celui d’un Guibert italien et empreint de foi catholique qui suivait une voie alors unique. Sa voix n’a pas été entendue à l’époque en France, où les livres de Tondelli sont restés un secret pour happy few – ni le travail de François Wahl ni la traduction de Nicole Sels ne sont en cause. Comme souvent, le succès et l’insuccès ont d’innombrables causes, ils n’en ont aucune en particulier.
Pour autant, les livres étaient encore disponibles, jamais parus en poche, certes, mais on les trouvait. Il fallait les commander, aucune librairie ne les avait en stock si on voulait les offrir.

On comprend donc pourquoi les éditions du Seuil ont souhaité republier Chambres séparées. Mais pourquoi le faire retraduire trente ans après ? Il est des cas où la retraduction s’impose et d’autres où, simplement, pour amortir les droits qu’on a dû renouveler on a besoin d’une parution en grand format, qu’une retraduction permet de justifier. Chambres séparées est un cas à part : la première traduction était bonne, peut-être trop, même.
La traductrice, Nicole Sels, était une amie d’enfance de Pierre Vidal-Naquet, qui l’avait fait entrer au CNRS comme bibliothécaire en 1989. Elle fut par la suite la responsable de la bibliothèque Gernet, devenue Gernet-Glotz, à l’École des hautes études en sciences sociales. Il n’est pas aisé pour un traducteur de juger le travail d’une consœur, mais il convient de souligner que le travail de Nicole Sels est juste, précis, agile, et qu’il rend justice à l’écriture de Tondelli. Seul problème : cette traduction a trente ans et, en trois décennies, la langue change, le français littéraire comme celui du présent. En outre, on n’évoquait alors pas certains sujets (drogue, homosexualité, sida) comme on le fait depuis. Si Tondelli avait sérieusement secoué la langue et le roman italiens de son époque, sa traductrice, elle, a donné à son écriture une forme plus classique, celle d’un français littéraire de « bon aloi ».
Scènes de sexe, scènes de fix : on avait les mots pour le dire, mais peut-être pas pour l’écrire sous la belle couverture au cadre vert, et on ne saurait le reprocher à Nicole Sels. Qui s’y est essayée et s’en tire avec les honneurs. Mais Tondelli puise dans divers registres très variés, qu’il n’est pas facile de concilier. Par conséquent, loin de transformer radicalement la traduction, il s’est agi de lui rendre çà et là cette variété de registres, afin de coller à l’esprit de l’original tondellien, à travers des interventions discrètes et limitées. Outre des mots du langage courant et du quotidien qui ont pu vieillir (comme le monde pré-numérique nous semble lointain, avec ses « tourne-disques » et ses « magnétoscopes »), le passé simple a cédé la place au passé composé, moins agile (c’est un temps composé) mais plus immédiat. Ceux et celles qui liront les deux versions noteront-ils ces différences ? Idéalement, non.

Car là n’est pas la question. Il s’agit de faire connaître un texte fort et de replacer l’œuvre de Tondelli dans le contexte de la littérature italienne aux yeux des lecteurs français. En effet, elle y est un point d’inflexion entre deux époques, l’âge « classique » (celui des grands auteurs et autrices de l’après-guerre, Moravia, Morante, Calvino) et l’âge « moderne » (incarné dans les années 1980 par Tabucchi, Del Giudice et De Carlo, entre autres), quand le roman italien trouve son identité et s’affranchit des modèles étrangers pour parler de son temps, avec la langue de son temps, comme le fait Tondelli dans Chambres séparées.

* Vincent Raynaud est traducteur entre autres de Roberto Saviano, Alberto Garlini, Alessandro Baricco, Giorgio Vasta. La nouvelle traduction de Chambres séparées paraît aux éditions du Seuil le 7 avril 2023.

Vincent Raynaud*
Le Matricule des Anges n°241 , mars 2023.
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