La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Un métier de sanglé

mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243 | par Jérôme Delclos

Paolo Milone concilie poésie et psychiatrie dans une forme bien rythmée, à lire comme un roman.

L' Art de lier les etres

Paolo Milone revient sur ses trente-cinq années de psychiatre urgentiste à Gênes, dans un hôpital qui regarde la mer, cette mutique « plaque d’acier qui brille ». Divisé en dix grandes sections thématiques, le livre rassemble environ 400 textes courts numérotés. Certains s’apparentent à des sentences (« J’ai le plus de patients possible,/ pour ne pas trop m’attacher »), d’autres à de pensives micro-théories : « Certains patients sont tellement seuls que,/ afin qu’on les touche,/ ils détruisent tout ». Les méthodes de contention, le côté manuel, technique, artisanal du métier, reviennent souvent, à travers des anecdotes graves ou burlesques, en général les deux. La plupart des textes, indépendamment de leur contenu, sont des récits ou poèmes narratifs écrits à la première personne, ou à la seconde sur un mode qui alors n’est pas sans rappeler les épigrammes de Martial. « Giorgio, comme tous les samedis après-midi, tu es passé/ vico Untoria pour baiser la vieille Almira./ Elle était malade – elle a soixante-dix ans –, à la place/ on t’a proposé la jeune Lidia./ Tu as accepté, mais tu as exigé un rabais. »
Le beau titre du livre s’éclaire page 221 : « L’art de lier les êtres./ L’art de lier les êtres au lit./ L’art de lier les êtres à toi./ L’art de lier les êtres à la réalité./ L’art de lier les êtres à eux-mêmes./ Lier les êtres est un art./ Insaisissable ». C’est cet insaisissable de la psychiatrie, et partant de la folie, que traque une écriture en morceaux, légère et humble, à travers des instantanés du quotidien de l’hôpital. C’est déjà la grande force du livre que de nous séduire par ces vignettes bien ciselées et par leur rythme enlevé, dans des séries où les histoires de patients, les humeurs et les émotions du médecin, les portraits de ses collègues et des soignant.e.s, les raids en chambre ou en ville pour s’emparer d’un patient en crise (« Un type baraqué : un mauvais client »), nous plongent dans l’univers poignant ou bien drôle, et toujours attachant, du « Service 77 ». C’est le livre d’un homme d’expérience, profondément humain mais aussi pragmatique et efficace comme le sont les bons professionnels, et qui ne se cache ni derrière des théories – l’auteur s’en défie, n’aime pas les psychanalystes – ni derrière son petit doigt. Milone nous confie ses colères, doutes, épuisements, ses victoires et ses défaites, et il confesse même son trouble pour une patiente ou pour la jeune collègue fraîchement débarquée dans le service. « Giulia, tu es trop belle pour être une psychologue,/ comment quelqu’un peut-il parler avec toi de ses désirs,/ si, rien qu’à te regarder, il est saisi d’un nouveau désir/ tellement puissant que l’esprit et le pas vacillent ?/ En te regardant, qui se souvient encore de ses désirs passés ? » Autobiographie ou roman ? La note de fin précise : « Les personnages que je décris ne correspondent pas à des personnes réelles ». Ils y ressemblent pourtant beaucoup.
Il y a l’histoire de Lucrezia, sa lutte et celle du psychiatre pour vaincre ses tendances suicidaires, puis son échec, à lui, sa culpabilité sidérée (« On peut mourir comme ça ? »), et son deuil. Il y a la belle et tentatrice Chiara qui lui lance un jour, renversant les rôles : «  (…) c’est normal, ça arrive : c’est le transfert amoureux ». À quoi il réalise : « Ma femme s’en est aperçue avant moi./ Paolo, comment ça se fait que tous les mercredis, tu/ changes de chaussures, de pantalon, et tu te fais beau ? » Il y a le danger physique bien réel au contact des patients en crise, l’effroi face à la démence. « Le vaste monde de la psychiatrie s’ouvre grand quand/ on s’approche à deux mètres du patient./ Si on s’approche à un mètre, ça devient fantasmagorique./ Si on s’approche davantage, ça devient un enfer. »
On se demande comment il a tenu, on l’admire de se montrer si fragile. Et pourtant solide, fort de ses cicatrices. Il en sait un bout. « Giulia, la rencontre avec le patient n’est pas la victoire/ de la raison sur la folie :/ c’est la rencontre de deux folies./ Espère juste que la tienne soit plus humaine et raisonnable/ que celle de l’autre. » On se dit que si l’on devient fou, on aimerait tomber sur un pro dans son genre. Un qui sache faire et défaire les nœuds – tout un art.

Jérôme Delclos

L’Art de lier les êtres
Paolo Milone
Traduit de l’italien par Emanuela Schiano di Pepe
Calmann-Lévy, 265 p., 20,50

Un métier de sanglé Par Jérôme Delclos
Le Matricule des Anges n°243 , mai 2023.
LMDA papier n°243
6,90 
LMDA PDF n°243
4,00