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Égarés, oubliés Échalote a des amants

mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243 | par Éric Dussert

Observatrice des plaisirs de sa génération et des soirs de la Butte, Jeanne Landre fut une romancière légère et une journaliste féministe.

On reconnaît vite celui qui tient la plume de cette notice consacrée à Jeanne Landre : « Née à Paris en 1874. Vingt romans crapuleux sur la racaille, les apaches et les prostituées. En dehors de cet enfer : Mlle de Rivère, institutrice. » Bingo ! C’est bien le produit de l’aigre cerveau de ce cornichon d’abbé Bethléem (1869-1940). Il ne pouvait que détester les mœurs salées de la jeunesse d’alors qui faisaient les délices du bon bourgeois.
Née à Paris, le 29 décembre 1874, cette reine des cœurs en liberté était fille d’un militaire et d’une femme au foyer. D’abord journaliste pour le compte des Propos de Jean-François Louis Merlet (on ne dira jamais assez les mérites de ce futur mentor de Louis Guilloux), elle fut toute sa vie une journaliste doublée d’une romancière. Tout en travaillant pour les éditions Louis Michaud comme secrétaire, elle signait des tas d’articles et fictionnait à tour de bras. Sa plus belle invention fut celle d’Échalote, personnage archétypal de la jeune fille inconstante et sans tabou, qui lui vaut un succès d’enfer. À ce propos, son ami Laurent Tailhade a laissé quelques écrits intimes qui permettent de comprendre ce qui est emprunté de ses mœurs à Jeanne elle-même… Qui croit encore à cette fable que la libération des mœurs date de 1968 ?
Jeanne travaille ensuite à la féministe Fronde de Marguerite Durand et y atteint une notoriété certaine, un poids moral aussi. Nouvelles, contes, critiques dramatiques, elle place désormais sa prose un peu partout d’autant qu’elle a une plume endiablée, disons enlevée, une ironie subtile qui se coule à merveille dans les interstices de ses observations amusantes et précises. Humour gaulois ? Pas tout à fait. Elle apporte à ses traits les plus grivois des sous-entendus tendres, des à-côtés touchants. Son premier livre, Gargouille avait été lancé ainsi par son éditeur : « Ce sont les amours d’une femme vieille et laide pour un jeune rasta sans scrupules. L’auteur prend ce prétexte pour émettre de cruelles théories sur le sexe ennemi-né du sien : ce qui toutefois ne gêne en rien son jugement sur l’hystérie morale des femmes, déshabillées avec une amusante rosserie par une de leurs congénères. Roman curieux, critique piquante et littéraire » (Louis Michaud, 1906). On dirait le mariage de Bessie et de Dude dans La Route au tabac d’Erskine Caldwell (Belfond, 2017). Jeanne Landre est définitivement consacrée par Échalote et ses amants qui devient une série de trois livres (Échalote continue, etc.). Georges Courteline clame à qui veut l’entendre : « Je les achète par douzaines, pour mes amis. » Toute la vie de la Butte vibrionne dans le livre de l’amie de Jeahan-Rictus, et c’est ce que tout lecteur veut connaître, avec les amours de la jeune Échalote qui fait marner les hommes. Willy avait préparé les esprits, avec Pawlowski et quelques rigolards, et si Colette avait pris dès 1900 beaucoup de place, Jeanne lui fait concurrence… Pour cette dernière, il y aura ensuite Bob et Bobette, Le Débardeur lettré, Un auteur folichon ou Angèle et Ouistiti. Ils font la joie d’une génération qui se repaît de ses badinages et de ses sarcasmes qui évoquent Aristide Bruant.
À l’occasion d’une représentation d’Échalote mise en scène dans un petit théâtre montmartrois, le journaliste Max Descaves fit un jour de 1937 une curieuse rencontre. Jeanne Landre venait de disparaître le 17 novembre 1936, et ce spectacle était un hommage. Là, une vieille dame qui avait été le modèle d’Échalote assistait à la représentation… Cette femme dont nous ignorons le nom avait fait du caf’ conc’ sous le nom de Loincy à la Pépinière, aux Noctambules, à Bobino jusqu’en 1908. Interrogée, elle jura que le portrait était loin d’être fidèle, mais elle ajouta : « pourtant c’est toute ma jeunesse que le roman de Jeanne évoque… J’avais à peine vingt ans, lorsque, vers 1901, je l’ai connue dans un restaurant de la rue Lepic où souvent elle et moi prenions nos repas le midi. Tout de suite, elle fut pour moi une camarade. Son esprit cultivé en imposait à la petite théâtreuse (…) ah !… Monsieur, c’était l’heureux temps. Le compositeur Eugène Poncin (…) qui me donnait des leçons, m’avait surnommée « Loin du ciel », à cause de ma petite taille. Ce sobriquet, j’aurais préféré que Jeanne le conservât (…). De même, jamais je n’ai vendu des pommes à la petite voiture, place du Tertre, ou ailleurs… Encore une légende ! Celle-ci aurait pu me faire beaucoup de tort, si mon mari avait lu le roman… Heureusement, le pauvre homme est mort en 1927, sans en avoir eu vent. Il était officier ministériel… Vous vous rendez compte de l’effet qu’aurait produit le bouquin, sur ma belle-famille… » La vieille dame nous apprenait que Landre « notait soigneusement certaines des réflexions qui me passaient par la tête « si spontanées », disait-elle, qu’on ne les invente pas. Ah ! j’étais loin de penser que dix années plus tard, vers 1910, tout cela serait mis dans un livre et même imprimé ensuite dans un journal… »

Éric Dussert

Échalote a des amants Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°243 , mai 2023.
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