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Intemporels L’île des folles

mai 2023 | Le Matricule des Anges n°243 | par Didier Garcia

Dans Avant la nuit, l’écrivain cubain Reinaldo Arenas (1943-1990) raconte ce qu’a été sa vie sous la dictature castriste.

Dans une lettre d’adieu qui tient lieu d’épilogue à cette poignante autobiographie, Reinaldo Arenas annonce à ses amis qu’il va se donner la mort, et désigne celui qu’il considère comme le seul responsable de cette décision : « Fidel Castro. La souffrance de l’exil, la douleur de l’expatriation, la solitude et les maladies que j’ai pu contracter en exil, je ne les aurais certainement pas subies si j’avais pu vivre en liberté dans mon pays. »
Avant d’en arriver à cette extrémité (souffrant du sida, et se sachant condamné, il se donne la mort le 7 décembre 1990, dix ans après avoir émigré aux États-Unis), Arenas nous présente son quotidien sur une île qu’il était devenu impossible de quitter, car « dès 1970 Fidel avait proclamé que tous ceux qui le souhaitaient étaient déjà partis », faisant ainsi de Cuba « une prison où tout le monde, d’après lui, était heureux de vivre ».
Pas besoin ici d’attendre cent pages pour comprendre à quel genre de livre nous avons affaire.
Écrit avec cette énergie qui est souvent celle de ceux qui, ayant quasiment tout perdu, n’ont plus rien à perdre, Avant la nuit est un cri, plein de fureur et de démesure, à l’image de la vie que son auteur a vécue, avec un appétit boulimique qui était sans doute la seule façon de lutter contre la dictature. Et il faut bien reconnaître que sous ce régime, qui veillait (avec des méthodes plutôt musclées) à ne pas laisser s’exprimer toutes les formes de « diversionnisme idéologique », Arenas ne fut pas épargné. En tant qu’écrivain, il eut à cacher ses manuscrits pour éviter qu’ils ne tombent entre les mains de la Sûreté de l’État (il a ainsi perdu à deux reprises Encore une fois la mer, qu’il a dû réécrire intégralement), et à les faire sortir clandestinement pour les publier à l’étranger grâce à l’amitié de Margarita et Jorge Camacho, un couple de peintres surréalistes. En tant qu’homosexuel, il a été victime de la persécution du régime (son homosexualité lui a même valu d’être incarcéré : « être une pédale, à Cuba, c’était l’un des plus grands désastres qui puisse arriver à un être humain »).
Le volume exsude de la violence à chaque page, mais alors une violence volontairement ostentatoire, car destinée à être vue, entendue, perçue comme un acte de contestation : « je crie, donc je suis ». Il ne se contente pas de revendiquer son homosexualité par exemple : c’est un véritable déchaînement de sexualité qui jaillit de sa plume, une sorte d’orgie permanente, évoquée en des termes toujours obscènes (tous les endroits étaient bons pour tirer un coup avec une de ces innombrables « folles » qui peuplaient l’île).
Avant la nuit
fourmille de personnages hauts en couleur, qui paraissent plus romanesques que réels, et d’épisodes extravagants. La scène suivante se déroule dans une église épiscopale, au cours d’une cérémonie religieuse. Alertés par un vacarme infernal qui sort de l’orgue, « la plupart d’entre nous, y compris l’évêque, nous sommes montés à la tribune d’orgues et là, nous avons découvert de quoi il retournait ; Hiram Pratt, complètement nu, était possédé par le jardinier noir et, pendant l’accouplement, Hiram frappait les tuyaux d’orgue et leur flanquait des coups de pied ».
Même si elle respecte la chronologie, partant de l’enfance pour en arriver, dans les dernières pages, à son évasion et à son installation sur le territoire américain, cette autobiographie est constituée d’environ soixante-dix textes (de quelques lignes jusqu’à quarante pages), comme si Arenas avait moins tenu à raconter sa vie qu’à la décliner de manière thématique. Nous y trouvons donc un peu de tout, dans une succession qui nous fait souvent passer du coq à l’âne, et c’est d’ailleurs ce qui en fait le charme et la saveur.
Malgré sa violence, Avant la nuit (publié en 1992, et porté à l’écran par Julian Schnabel en 2000) est un livre enlevé, sanguin, bouillonnant de vie (le désir l’emporte toujours sur le pathos). Il est même une célébration des plaisirs : « J’ai éprouvé trois jouissances merveilleuses au cours des années soixante : ma machine à écrire, devant laquelle je m’asseyais comme un parfait interprète devant son piano ; les adolescents exceptionnels de cette époque où tout le monde voulait se libérer en suivant une ligne différente de la ligne officielle du régime et forniquer ; enfin, la pleine découverte de la mer. » Pour un homme qui écrira ne pas pouvoir « mourir en paix », cet appétit gargantuesque pour tous les plaisirs est le plus beau pied de nez que Reinaldo Arenas pouvait adresser à la dictature, qui par nature est « hostile à la vie ». Il a même les allures d’un doigt d’honneur.

Didier Garcia

Avant la nuit
Reinaldo Arenas
Traduit de l’espagnol (Cuba) par Liliane Hasson
Babel, 456 pages, 10,20

L’île des folles Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°243 , mai 2023.
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