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Intemporels La fin d’une époque

juillet 2023 | Le Matricule des Anges n°245 | par Didier Garcia

Pina Rota Fo (1907-1990) évoque sa vie dans une Italie en pleine mutation, entre respect des traditions et désir de s’en affranchir.

Le Pays des grenouilles

Contrairement à ce que l’on pourrait naïvement penser, le pays des grenouilles annoncé par le titre n’est pas un territoire imaginaire servant de toile de fond dans un conte pour enfants, mais un cadre géographique bien réel, qui correspond à la Lomelline, une excroissance lombarde à l’intérieur du Piémont, bordée au sud par le Pô, à l’est par le Tessin, et à l’ouest par la Sesia. Pour l’essentiel : une région de rizières, qui abritent de nombreuses grenouilles.
C’est dans cet univers rural que s’est déroulée la vie de Pina Rota Fo (mère de Dario Fo, le prix Nobel de littérature 1997). Un univers malmené par les grandes tragédies qui ont ébranlé l’Europe tout au long du XXe siècle : la Première Guerre mondiale tout d’abord, dont l’auteure déplore qu’elle ait fait disparaître de son village le carnaval, la fête de mai, et les fables racontées dans les étables, puis la montée du fascisme (et avec elle la répression des grèves), la guerre en Abyssinie, et pour finir la Seconde Guerre mondiale (dont l’un est revenu aveugle, un autre amputé d’une jambe), qui a gravé dans les mémoires le souvenir des bombardiers larguant leurs bombes sur les enfants qui rentraient de l’école par des routes de campagne, ou sur les femmes qui travaillaient dans les champs…
Pour survivre, il a donc fallu faire le dos rond, laisser passer chaque orage, et composer avec un destin qui trouvait toujours quelque chose de nouveau pour pourrir le quotidien : quand il ne s’agissait pas d’un drame personnel tel que la mort d’un parent, il y avait la fièvre aphteuse qui tuait les bovins, la pépie infectieuse qui décimait les poulaillers, ou la fièvre espagnole, dont on se protégeait avec les moyens du bord.
Le récit s’ouvre sur une époque qui paraît bien lointaine, où l’huile de ricin était le seul médicament, et où l’on soignait les enfants en leur faisant porter des colliers d’ail ou en leur appliquant des signes de croix sur le front, sur la gorge, sur le ventre (en gros : là où le mal s’était installé). Et il se referme un bon demi-siècle plus tard sur la mort du père de l’auteure, moment douloureux qui favorise le retour de traditions multiséculaires, car quelques minutes après son décès un membre de la famille déclare qu’il jettera quelques pièces dans son cercueil afin de payer le droit de passage (une habitude qui s’origine dans la mythologie grecque : contre une obole, le nautonier Charon faisait traverser le Styx aux âmes qui avait préalablement reçu une sépulture, afin qu’elles gagnent le séjour des morts). Une des sœurs de l’auteure réagit alors avec véhémence : « vingt cataclysmes et cinq révolutions ne suffiront pas à déraciner toute la stupidité qu’il y a en vous. » À quoi Pinta Rota Fo rétorque : « Et pourquoi tiens-tu tellement à arracher le peu qui nous lie à notre terre, à nos ancêtres… Ce peu qui est certainement plus pur et plus humain que le dépouillement total que vous avez en ville. »
Cette opposition est une illustration de ce qui se joue dans le récit autobiographique que l’on trouve sous l’épaisse couverture historique : on assiste à la métamorphose d’une société rurale (celle dans laquelle l’auteure a passé son enfance refusait aux femmes le droit de jurer et celui de blasphémer), qui passe d’une agriculture traditionnelle à la mécanisation (attaché à une terre qu’il refuse de quitter, son père voit le tracteur remplacer peu à peu les bêtes et lui faire gagner du temps). Mais son regard se montre beaucoup moins bienveillant pour ces jeunes qui, dès l’entre-deux-guerres, rêvant d’une vie plus facile, commencent à fuir les rizières et à vouloir s’installer dans les villes, ce qui donne lieu aux premiers conflits de générations.
Seul et unique livre de l’auteure (publié en 1979 et traduit en français en 1993), Le Pays des grenouilles tient à la fois de l’écriture mémorialiste et du témoignage sociologique, Pina Rota Fo ne pouvant effacer de son récit ni l’arrière-plan historique ni l’évolution des mentalités (présents malgré elle). Mais on sent bien que son objectif premier était d’évoquer la vie qui fut la sienne et le quotidien qu’elle a vécu dans cette famille de paysans jusqu’à la mort de ses parents. Une vie toute simple, rythmée par les travaux des champs comme par le retour des maladies, rendue avec une économie de moyens et une simplicité qui touchent le lecteur, et dont elle présente tour à tour les éléments faisant saillie. Lesquels donnent un semblant d’ossature à cette évocation qui paraît glisser à la surface du temps.

Didier Garcia

Le Pays des grenouilles
Pina Rota Fo
Traduit de l’italien par Delphine Bahuet-Gachet
Cambourakis, 176 pages, 10

La fin d’une époque Par Didier Garcia
Le Matricule des Anges n°245 , juillet 2023.
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