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Domaine français Vents violents

octobre 2023 | Le Matricule des Anges n°247 | par Anthony Dufraisse

Troisième roman du Québécois Kevin Lambert qui ausculte les états d’âme des élites prises dans une tempête médiatique.

Que notre joie demeure

De toute évidence, c’est une femme puissante. Elle se voit comme « une reine-philosophe » au sein du club très fermé, et bien trop masculin, des architectes internationalement reconnus. Oui, c’est peu dire que Céline Wachowski, à la tête des Ateliers C/W sis à Montréal, a réussi dans la vie. Le fait qu’elle ait sa propre série sur Netflix vaut d’ailleurs consécration suprême, adoubement médiatique. Seulement voilà, les courants si porteurs jusqu’à présent vont se faire tourbillons violents. Ce qui attend cette presque septuagénaire richissime, c’est un grand fatras, un patatras option big bang. Tout bascule à partir du jour où l’un de ses énièmes projets immobiliers cristallise la vindicte populaire dans son Québec natal. L’opinion voit alors rouge contre cette « starchitecte » aux cheveux blancs et yeux bleus magnétiques. Ce personnage si convaincu de contribuer au bien commun et à l’embellissement du monde sert de révélateur à Kevin Lambert pour nous parler du temps présent. À 30 ans et désormais trois livres, l’écrivain canadien compte parmi les agitateurs à suivre de la scène culturelle québécoise. Turbulent hier avec Tu aimeras ce que tu as tué et Querelle, le voilà plutôt en toubib assagi aujourd’hui. Dans une prose plus tempérée que dans ses précédents livres, il prend le pouls de notre époque, ausculte les maux de la société et les mots des élites. Au bout de son stéthoscope on entend la petite musique du monde contemporain, ses pulsations morales, économiques, technologiques. Explosera, explosera pas, le cœur fragile d’un monde par bien des aspects malade ?
Le roman de Lambert, on l’a dit en commençant, c’est une histoire de badaboum. À travers cette Céline vilipendée pour « la dimension capitaliste de son idéologie », accusée d’œuvrer à la gentrification urbaine, il excelle à raconter le renversement soudain d’une réputation, la survenue du désordre dans une classe sociale qui se croit à l’abri des tempêtes. Si l’on y prête attention d’ailleurs, il y a dans ce roman, de la première à la dernière page, bien des courants d’air et des coups de vents : les robes de soirée froissées par le vent dans des ascenseurs desservant des lofts chics, « les vents malicieux » qui balayent des terrasses panoramiques, « les petits courants froids qui s’infiltrent partout dans les ouvertures des vêtements » de grands créateurs de Céline, les bourrasques qui s’engouffrent dans un appart mis à sac par des militants… ce sont là, mouvements de haute ou basse pression, les signes d’une main invisible qui tourmente l’architecte et son cercle de proches. Si elle représente la figure centrale de cette galerie romanesque, d’autres personnages l’entourent par leurs discours et les contrepoints qu’ils suscitent sur la situation : le bras droit, la meilleure amie, l’ex-collaboratrice… Résolument dialogique – au risque d’ailleurs de faire passer Lambert pour un arbitre un peu (trop ?) effacé –, le roman met en scène les contradictions, les apparences, les failles, les ressorts intimes de chacun(e). Sous un vernis de sophistication, le récit oscille sans cesse entre lucidité implacable et cynisme subtil, entre autoflagellation et automédication : « Céline provoque des fractures, des lésions en trimballant son petit cirque dans le monde, n’est-ce pas la véritable révélation cachée dans la Recherche, qu’on heurte et qu’on fait tout pour ne pas prendre la mesure du mal causé, pour rester aveugle aux petites terreurs exercées sur les autres en se justifiant par le Bien, en se mettant du côté du Bien et en se convainquant soi-même de nos nobles intentions ? »
La Recherche dont il est ici question, c’est bien sûr celle du temps perdu. Proustien, Kevin Lambert ? À partir des ondes radioactives qui émanent de son complexe personnage principal, il peint en tout cas toute une société de nantis qui tremble, qui vacille, mais demeure. Heureux les privilégiés qu’aucune commotion ne met jamais tout à fait KO, est-ce la leçon de ce roman miroir du temps ?

Anthony Dufraisse

Que notre joie demeure
Kevin Lambert
Le Nouvel Attila, 360 pages, 19,50

Vents violents Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°247 , octobre 2023.
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