Il y a dans le dernier roman de Robert Stone traduit en français L’autre Côté du monde un constat d’échec qui surpasse probablement celui que son œuvre (très importante outre-Atlantique) dresse depuis Dogs Soldiers (Les Guerriers de l’enfer, 1978, Le Sagittaire). Robert Stone met généralement en scène dans ses romans les représentants d’une génération perdue, sacrifiée au Viêt-nam. Ses personnages, ivres d’alcool et de cocaïne, portent les faiblesses d’une Amérique qui aimerait les jeter aux oubliettes.
Parce que son patron, homme d’affaires verreux, s’est volatilisé dans la nature alors qu’il devait effectuer une longue course nautique en solitaire autour du monde, Owen Browne décide de courir à sa place, malgré son peu d’expérience de la navigation. Accepter cette course, c’est aussi accepter de devenir subitement le héros toc des médias qui ne vont pas manquer de filmer Owen, sa fille, et sa charmante femme dans leur intimité. Mais le sauvetage économique de l’entreprise passe par là… En fait Owen a au moins une bonne raison de tenter une aventure dangereuse : peu satisfait de ce qu’il est et surtout du comportement qu’il eût au Viêt-nam, il espère trouver, seul sur son bateau, sa raison d’être. Quête mystique en vérité que celle d’Owen qui fait mine d’épouser les valeurs de son pays pour n’avoir pas à affronter ses propres angoisses. Le roman de Robert Stone allie le meilleur au moins bon. Les actions terrestres de L’autre Côté du monde sont à ranger dans la seconde catégorie. Le roman s’enlise dans un réalisme de pacotille (et de marques de produits), prisonnier d’une langue pauvre où les clichés (pute droguée, journaliste verreux, homme d’affaires sans scrupule) s’alignent en rang serré. En revanche, une fois la voile hissée, Stone retrouve une dimension exceptionnelle. A tel point qu’on finit par se demander si la platitude des scènes terrestres n’est pas un effet narratif pour donner, a contrario, tout son sens au roman. Car si la quête d’Owen ressemble à celle du capitaine Achab dans Moby Dick, Stone semble indiquer que l’Amérique s’est passablement éloignée de ses mythes fondateurs en se fourvoyant dans le médiatoc et la littérature-éprouvette.
L’autre Côté du monde
Robert Stone
traduit de l’américain par
G. Piloquet et A. Paumier-Gintrand
Editions de l’Olivier
544 pages, 149 FF
Domaine étranger Echapper au Viêt-nam
décembre 1994 | Le Matricule des Anges n°10
Un livre
Echapper au Viêt-nam
Le Matricule des Anges n°10
, décembre 1994.