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Nouvelles Les mariés de la rivière

septembre 1995 | Le Matricule des Anges n°13

Didier Lemaire est né dans le Pas-de-Calais en 1933, mais il est Lorrain de coeur. Passionné par les fleuves et les rivières, ce retraité de l’enseignement (qui l’emmena en guyane) vit depuis quelques années au bord du Loir. La revue Le Bord de l’eau N°13 a publié une de ses nouvelles, la revue défunte Souffles quelques poèmes. Dernier livre lu Le Tabouret de Jean Yssev (Le Bord de l’eau). Parmi ses écrivains favoris : Rimbaus, Lautréamont (« à cause de notre monde de violence »), Céline et Kafka.

Il était de Villiers sur Loir. Il habitait avec sa grand-mère. Man Auxilia, une maison troglodyte du côteau Saint-André, pas une demeure bien aménagée comme celles des Parisiens retraités, un abri rudimentaire pour pauvres gens mais s’offrant le luxe d’une vue plongeante sur le Loir. De nos jours, il n’y a plus d’embauche pour des gars comme lui. Aussi passait-il ses journées à traverser et retraverser le village sur sa bicyclette bien astiquée. Le guidon était orné de tourniquets de toutes les couleurs achetés à un forain lors de l’Assemblée de la Saint Gilles. Il pressait sur les pédales pour que les hélices tournent plus vite jusqu’à ce qu’il décolle et survole le village.
Le mouvement des tourniquets devant lui le remplissait d’une joie toujours renouvelée. Il y entrait un plaisir esthétique, la jouissance que donnent le sentiment de puissance et la beatitude extrême que l’on éprouve lorsqu’on s’envole et qu’on plane au-dessus de la vie. Cela le consolait de la méchanceté des gens. A la sortie de l’école il y avait toujours un gamin pour lui crier Tom Pouce alors que sur sa bicyclette il était Tommy le cow-boy qui poursuivait et scalpait les Indiens. Il y avait toujours sur la place de la mairie des donzelles pour le rembarrer lorsqu’il s’arrêtait pour dire bonjour et parler du temps. Toc les fumelles d’ici toc des saintes n’y touche des mijaurées des garces des gadous toc qui pètent plus haut que leur cul toc que leur petit cul pointu toc sur ma bicyclette toc j’irai à l’étranger toc chercher plus belle qu’elles toc. Et il pédale jusqu’au pont de Chantereine pour pisser dans le Loir, ça le réconcilie avec la vie. Alors quand la porte est ouverte il entre dans l’église pour dire bonjour à Marie. Il la trouve assez forte, belle tout de même, elle ne le rembarre pas et bavarde avec lui du temps, de ses furoncles et de choses quelconques. Le soir après un coup d’œil à la rivière, il regardait les pin-up dans l’exemplaire de Lui qu’il avait dérobé un jour à l’épicerie en faisant les courses pour la grand-mère. Il les trouvait maigres et laides. Il avait peine à s’endormir car chaque nuit il composait et recomposait dans sa tête les beautés et les mystères de la fille qu’il aimerait. Cul rond beaux nichons peau douce toc Où mettre les grains de beauté ? toc Je lui parle elle m’écoute et elle me parle toc Je la caresse doucement et il fait bon ensemble et ron petit patapon.
Elle était de Thoré-la-Rochette, le village de l’autre côté du Loir. Elle habitait une ferme à l’écart, une ferme d’autrefois avec plus d’espace et de confort pour les bêtes que pour les gens. Une famille de paisans où les femmes avaient toujours été fortes en raison du travail et de la nourriture. Des dérèglements hormonaux avaient amplifié le caractère chez Madelonnette. Gamine on l’appelait la Grosse. Par la suite on avait accroché à elle tout un chapelet de surnoms : Courtes-pattes, Gros-cul, Gros-nichons, Bas de Cul, Bonbonne, etc. Cela résonnait dans sa tête comme des gamelles accrochées à la queue d’un chien. Chaque soir elle demandait au miroir de sa chambre si elle était belle. Elle se comparait aux modèles des exemplaires de Elle qu’elle partageait avec sa mère. Tous les traitements d’amaigrissement auxquels elle s’appliquait n’y changeaient rien, le miroir disait toujours non. Les garçons se moquaient d’elle ou la fuyaient. Et elle ne voyait plus ses copines d’école, celles-ci sortaient avec leurs amoureux. Ses parents disaient qu’elle était comme une bourrée d’épines parce qu’elle était née mal lunée. Le chagrin lui donnait le vertige quand elle écossait les petits pois ou les haricots ou quand elle épluchait les pommes de terre. Marre J’en ai marre Marre à bout Bout de ficelle Selle de cheval Cheval du prince charmant Selle d’argent J’en ai marre Dans la mare J’en ai marre Marre.
Avant de s’endormir elle relisait l’un de ses romans photos. Ses yeux s’embuaient, mais elle ne trouvait pas les hommes gentils, elles les aurait voulus plus simples et vraiment aimants. Que de complications dans ces histoires c’est si simple d’aimer d’aimer à la vie à la mort. En s’endormant elle rêvait à Jésus. Quel bon mari il ferait, lui était gentil.
Ce samedi de la fin de juin les jeunes de Thoré et de Villiers préparaient joyeusement, chaque groupe sur sa rive du Loir, le feu de la Saint-Jean comme cela devient la coutume. Les grands tas de bois brûleraient toute la nuit et on danserait jusqu’au jour. Ni Tommy ni Madelonnette ne s’étaient joints aux autres. Pourtant la fin du printemps les tourmente. Chacun de leur côté ils vont au bord du Loir pour rêver en regardant l’eau couler.
Tommy imagine des femmes poissons, des sirènes, des fées. Il se déshabille entièrement pour se blottir dans la chaleur qui monte de la rivière. Et lentement il se branle en regardant l’eau.
Madelonnette se raconte un roman photo avec un garçon pas compliqué et gentil comme Jésus, petit mais costaud comme Rambo. Il lui parle gentiment, il la trouve belle, elle lui parle et il fait bon ensemble. Rassérénée elle se déshabille pour demander au miroir de l’eau si elle est belle. Les arbres complices se penchent vers son reflet pour lui faire un cadre mouvant qui la rend plus belle et la rivière s’arrête pour la contempler de ses yeux profonds. Le miroir dit oui et de bonheur elle caresse longuement et tendrement ses seins en allaitant l’enfant Jésus.
Les images tremblantes de Tommy et Madelonnette se croisent dans l’eau. Ils se reconnaissent, ils se sont vus dans leur rêve. Elle ressemble à Marie plus belle ; il a l’air gentil comme Jésus et costaud comme Rambo.
La joie les jette à la rencontre l’un de l’autre et la rivière les marie dans un éclaboussement heureux.

Les mariés de la rivière
Le Matricule des Anges n°13 , septembre 1995.