La Légende de Marble Lesson
La mort de Sailor à la fin de Rude Journée pour l’Homme-léopard semblait mettre fin au « cycle », The History of Sailor and Lula dont les six livres racontaient la vie du couple -de sa jeunesse rebelle à son heureuse maturité- et finissaient par construire une Louisiane poétique qui, La Légende de Marble Lesson l’atteste, est désormais le territoire littéraire de Gifford. A 50 ans, l’ex- « rock and roll musician », ex-marin, ex-routier, ex-journaliste a enfin trouvé et fixé son univers. Une toponymie choisie (Egypt city, Fort Sumatra, etc), une onomastique audacieuse (Bosco Brouillard, Purity Mayfield, Sordida Head, etc), un brassage de références sans complexe qui permet, par exemple, à Virgile de croiser le bluesman Lightnin’ Hopkins sont quelques uns des éléments de cette cristallisation poétique. La Légende de Marble Lesson qui regroupe en fait deux romans -Les Gens de la nuit et Lève-toi et marche- ajoute un nouvel élément à l’univers de Gifford : la religion ou plutôt ce qu’il en est advenu dans le Sud des Etats-Unis. L’entrée en religion de Gifford se fait sous le signe d’un manichéisme pour lequel le Mal est une réalité peut-être plus réelle que le Bien.
Un christianisme fait d’une inflation d’églises contradictoires comme L’Eglise de la main droite et l’Eglise de la main gauche ou encore du féminisme « mystique » de Marble Lesson permet à Gifford de sonder à la suite de Flannery O’Connor les ténébreux fondements de « l’hystérie fondamentaliste » du Sud. Preuve que l’on est toujours dans le monde de Sailor et Lula, on apprend dans La Légende de Marble Lesson que leur fils, Pace est mort « perdu en mer au passage d’un ouragan » et a « sans doute » péri noyé. Peut-être un jour croiserons-nous à nouveau Lula que l’on avait quittée « toujours aussi jeune et ravissante » avec « ces lacs violets dans ses grands yeux gris »…
Comment êtes-vous venu au roman ?
J’ai publié un premier recueil de nouvelles, A Boy’s novel en 1973. J’ai toujours plus ou moins caressé le projet d’écrire des romans, mais il m’a fallu apprendre. Pour gagner ma vie, je faisais des livres sur le base-ball, sur les courses de chevaux, la pêche en haute mer, etc.
C’est aussi en tant que journaliste que j’ai fait le livre sur Kerouac. Ce n’est qu’à la fin des années 80 que j’ai écrit Paysage avec voyageur et Port tropique l’un à la suite de l’autre, presque en même temps -et un peu plus tard An Unfortunate Woman.
Vous avez essayé dans Les Vies parallèles de Kerouac de retrouver un vrai Kerouac derrière sa légende. Vous y avancez l’hypothèse surprenante d’un Kerouac, poète catholique…
Ce n’est pas une hypothèse, c’est la réalité. Il a écrit pour des revues catholiques. Il vient d’une famille pratiquante. Enfant, il a appris à diriger ses prières vers Sainte Thérèse de Lisieux et dans les années 60 il expliquait encore au poète Philip Whalen les consolations qu’il trouvait à prier Thérèse afin de soulager sa peine…
Et...