Le rideau de Miniatures s’ouvre sur un épisode tragique de l’histoire de l’Orient musulman : l’invasion mongole au XVe siècle. Alep est déjà défaite et les troupes barbares du prince Timour s’approchent à grand fracas de Damas. Sur fond de panique et d’urgence, les plus hauts dignitaires de la ville se divisent sur les moyens d’éviter le pire. Le gouverneur choisit la fuite, les autorités religieuses et les marchands ont tôt fait de pactiser avec l’ennemi, même Ibn Kahaldûn, le plus grand penseur de l’époque, se range du côté du tyran. Seuls le commandant de la citadelle et une poignée de courageux citoyens résisteront jusqu’à la mort.
Par la voix du chroniqueur, Damas toute entière se fait le théâtre du drame et s’anime comme un véritable personnage. D’un fragment à l’autre, derrière les choix de la cité, se dessinent les destins individuels - sur une trame dont le rythme et l’écriture rappellent les grandes tragédies grecques. Ici, comme souvent dans le théâtre arabe, l’auteur tire prétexte du contexte historique pour mettre au jour les liens à la communauté, à la oumma, sur laquelle repose la société. Dans une telle perspective, tradition et modernité ne peuvent que s’affronter -comme en témoigne d’ailleurs l’écriture elle-même-, l’exercice du libre-arbitre menace forcément le dogme. Et c’est de ce point de vue essentiel que se justifie la publication commune des deux pièces dont les intrigues respectives, très différentes, se déroulent à quelque quatre siècles d’écart.
En préface de Rituel pour une métamorphose, l’auteur avertit : « Signalons que le lieu (Damas) et que le temps (la seconde moitié du XIXème siècle) ne forment que le cadre spatiotemporel fictif de la pièce. Mon but n’était pas de présenter un milieu social ni d’analyser quelque document historique. Il serait superflu d’ajouter que mon intention était de provoquer une interrogation problématique que j’estime actuelles et toujours renouvelées ». Et il y réussit. Cette très belle pièce - qui prend presque l’allure d’un conte - est sans doute encore plus intéressante que la précédente car elle touche à l’être profond de l’individu, brimé par les codes sociaux et la morale collective. Bafouée par son époux, la première dame de la cité devient courtisane pour assouvir ses désirs et se libérer du joug que lui impose son rang. La puissance de ses charmes fera succomber ceux qui se paraient des plus hautes vertues et une sorte de folie s’emparera de chacun, dévoilant les angoisses et les désirs les plus refoulés. Mue par la quête de sa vérité intime, la belle révèlera tant et si bien les failles de la communauté qu’elle finira poignardée par son propre frère, décidé à laver l’honneur par le sang…
D’une grande qualité dramaturgique, ce théâtre politique et militant nous donne à entendre la langue d’un véritable auteur. Né en Syrie en 1941, Saadallah Wannous, a écrit une dizaine de pièces, dirigé une revue de théâtre et une collection d’ouvrages collectifs dédiée à la pensée arabe contemporaine. Malheureusement il reste encore quasiment inconnu en France - comme la plupart de ses condisciples. Cette publication vient rappeler cette lacune. À juste titre.
Miniatures suivi de Rituel…
Saadallah Wannous
Traduits de l’arabe par
M. Elias, H. Kassab Hassan
et Rania Samara
Sindbad, Actes Sud-Papiers
212 pages, 150 FF
Théâtre Histoires de Damas
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Maïa Bouteillet
Jeux de pouvoir ou affaires de mœurs, c’est toujours la liberté individuelle qui est en jeu dans les deux nouvelles pièces du Syrien Saadallah Wannous.
Un livre
Histoires de Damas
Par
Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.