Sans pour autant lâcher les manettes de Tristram, la maison d’édition qu’il codirige, Jean-Hubert Gailliot a composé un hymne à la jeunesse qui appelle à lui les qualificatifs réservés aux chroniques rock. Rageur bien que souple, impulsif et rapide, le récit commence à 180 km/h, sur la voie de gauche de l’autoroute Lille-Paris. Au volant d’une Volvo volée à son directeur d’école, Tom file comme une comète vers le château où l’attendent Jean-Hubert, Nathalie, Flo, les jumelles et une fête d’enfer. Tom, expulsé du lycée et du Sud pour purger deux ans dans un établissement spécialisé dans le Nord, en sera le héros. S’il lui arrive, pour se mettre à l’ombre des camions espagnols, de lever le pied, son cerveau, lui, ne ralentit pas et le projette vers sa destination : la complicité avec Jean-Hubert, les seins de Nathalie, la bouche de Flo et la liberté. Fantasmant au rythme d’une musique poussée dans ses derniers décibels, il traverse la France comme il rêve de le faire de sa vie : à fond.
Pour rompre avec la linéarité nord-sud, Jean-Hubert Gailliot multiplie les embranchements narratifs. Le lecteur saute d’un je à un il, d’un personnage fantasmé par Tom, à un autre, plus réel. Les corps défilent, les filles se maquillent, essaient des robes de quinze grammes, Jean-Hubert surprend Nathalie les seins à l’air, les garçons jouent au foot sur la pelouse du château, Tom s’invente Victoria l’Espagnole. Un millier de kilomètres s’avale en soixante-dix pages de bonheur.Mais le roman n’est pas seulement un exercice de style avec ses raccourcis saisissants. Peu à peu, Tom apparaît comme un double rêvé de Jean-Hubert. Une chose les sépare dans leur arrogance commune : l’un croit encore en la littérature, l’autre plus. Nul doute que Jean-Hubert pourrait souscrire à ce qu’écrit Flo : « plus tard nous nous vanterons d’avoir été jeunes de la même manière qu’aujourd’hui nous nous vantons de ce que nous ferons plus tard. » Pour Tom, en revanche, cet échec est impossible. Seul le présent semble l’héberger, lui pour qui « ces petites lettres noires sur le papier ne sont pas la vie. » La deuxième partie du roman tranche nettement. L’auteur y adopte un ton résolument lyrique, tourné vers une nostalgie qui donne un rythme de fado au trente dernières pages. On y entendra une voix sincère, l’aveu d’un échec : celui d’avoir cru aux petites lettres noires alors que d’autres poursuivent leur vie de comète.
La Vie magnétiqueJean-Hubert Gailliot
Éditions de l’Olivier126 pages, 89 FF
Premiers romans La vie, pied au plancher
novembre 1997 | Le Matricule des Anges n°21
| par
Thierry Guichard
Un livre
La vie, pied au plancher
Par
Thierry Guichard
Le Matricule des Anges n°21
, novembre 1997.