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Domaine étranger Route de la saudade

janvier 1999 | Le Matricule des Anges n°25 | par Maïa Bouteillet

Dix ans après Dalva, Jim Harrison prête voix aux mêmes personnages dans un roman existentiel et crépusculaire où les paysages intérieurs des êtres ont la sauvage ampleur des grands espaces du middle west.

Jim Harrison est probablement le plus grand écrivain américain vivant. La chose a été proclamée dans quasi tous les médias français qui se sont largement fait écho de la dernière visite du monstre sacré en France. Mais, paradoxalement, le bonhomme a le dos tellement large que rares sont les journalistes qui se sont risqués à l’ascension, préférant la plupart du temps évoquer son légendaire goût pour le vin et la bonne chère, son physique rabelaisien et ses façons d’ours. Pas dupe, l’homme en joue et place les critiques face à leurs propres limites en multipliant les anecdotes truculentes et les versions contradictoires. L’histoire de son œil gauche est fameuse. Ici, il l’a perdu au Vietnam. Là, c’est sa première déception amoureuse : une petite fille avec qui il jouait au docteur lui a subitement jeté un tesson de bouteille à la figure. Plus récemment, lors d’une séance de photos à Strasbourg, Jim Harrison précisait que la gamine lui avait tapé dans l’œil… pour faire fuir une guêpe !
L’âge aidant -il vient d’avoir 61 ans- l’écrivain des grands espaces du Michigan s’est vu catapulté observateur des folies de l’Amérique urbaine. Dans sa course aux interviews, en septembre dernier à Paris, on l’aura davantage interrogé sur les turpitudes politico-sexuelles de Bill Clinton que sur son œuvre littéraire.
Pourtant, loin du bruit médiatique, derrière sa carapace d’ogre à la voix de stentor, l’homme retient rarement ses larmes en écoutant Cesaria Evora dont il trimballe toujours une cassette dans son 4x4 et dans le cabanon du Michigan où il se réfugie pour écrire. Ce qui l’attache avant tout à la diva du CapVert, c’est un sens infini de la délicatesse, un irrépressible sentiment de peine et de bonheur mêlés. Si tant est que l’on puisse ainsi définir la saudade, dont le terme de nostalgie ne rend que faiblement compte. Saudade, élément clé du roman dont chaque personnage offrira sa propre interprétation. Pour Harrison, l’illustration de ce sentiment est irrémédiablement liée à un étrange événement. « Un psychanalyste que j’ai connu avait une ferme sur une petite île. Un jour, elle a été balayée par la tempête et la maison a simplement disparu. Il n’a jamais pu y retourner, il n’a jamais rien retrouvé. On ne peut jamais revenir à ce que l’on a perdu. Dans ma vie, trois femmes que j’ai aimées se sont suicidées. Ce n’est pas ma faute, du moins je ne le pense pas, mais je sais que je ne les reverrai plus. C’est ce que j’appelle saudade. Le temps est sans pitié, on ne peut pas revenir en arrière, même pas d’une seconde. Ce qui est perdu l’est irrémédiablement. On ne peut arrêter le cours de la rivière. »
Dans La Route du retour, les femmes, et surtout Adele le grand amour de jeunesse du vieux Northridge, choisissent la rivière pour se donner la mort, silencieusement, comme pour se fondre à nouveau dans le cours du temps, à la manière de l’énigmatique Ophélie de Shakespeare. Face à ce fatal écoulement, seule peut-être l’écriture pourrait offrir un moyen de remonter le temps. « Je n’ai pas besoin d’une machine, ma machine c’est l’imagination. L’écriture est un perpétuel mouvement. »
Sans doute Harrison n’a-t-il jamais été aussi proche de cette vision de l’écriture que dans La Route du retour où les personnages avancent au fil de leurs pensées, dans une sorte d’état de nomadisme intérieur. Leurs doutes façonnent un récit multiple et divagant. Ils tiennent leur journal comme ils marchent, pour semer les mauvaises pensées et apaiser leur esprit. Et s’ils s’endorment volontiers, à la croisée des chemins, sur un tas de pierres -quitte à être réveillés par des serpents- ou au bord d’une rivière, c’est pour mieux laisser venir les rêves et les fantômes amis qui font partie de leur univers aussi sûrement que la nature. La géographie est ici celle des sentiments.
Dix ans après Dalva, véritable roman de référence dans l’œuvre d’Harrison, l’écrivain renoue avec les mêmes destins. D’un livre à l’autre, lieux, événements et personnages se font écho. Comme si face à l’énormité de l’univers engendré, il avait eu besoin d’un deuxième assaut pour venir à bout d’une création qui l’aurait jusque-là obsédé. Manière sans doute de faire le deuil de ses personnages. La mort, d’ailleurs, est omniprésente dans ce dernier roman.
Mais, d’avantage que des personnages, ce sont ici des voix intimes qu’il nous donne à entendre. La saga familiale a laissé place à une véritable fresque existentielle où chaque être, parvenu au bout du chemin, se révèle dans son humaine fragilité. Au-delà des thèmes historiques, sociologiques et politiques de l’Amérique qui traversent toute son œuvre -notamment celui de la destruction des cultures indiennes- Harrison s’emploie ici à creuser la question du temps, c’est-à-dire celle de l’éphémère de l’existence, de la disparition. Dès lors, pour chacun, la « route du retour » sera celle de la fin. Pour le grand-père, le vieux Northridge dont le journal qui ouvre le livre est certainement le plus poignant, cette route sera celle de la mort. Nelse, le fils abandonné, retrouvera ses origines et mettra un terme à son errance de marginal. Sa mère, Dalva, s’en ira rejoindre son premier amour dans l’autre monde, prenant ainsi de court la maladie qui la ronge. Au bout du compte chacun trouvera sa vérité.
Entiers, généreux, autoritaires et fiers, les personnages d’Harrison ont la grandeur de héros mythiques. Mêlant genres épique, lyrique et dramatique, visions mystiques et épisodes réalistes avec un sens aigu de la composition, Harrison nous entraîne dans une fable universelle aux accents de pure poésie. « Prendre les Indiens en pitié, écrit-il, c’est avoir pitié des dieux. »

La Route du retour
Jim Harrison

Traduit de l’américain
par Brice Matthieussent
Christian Bourgois
523 pages, 160 FF

Route de la saudade Par Maïa Bouteillet
Le Matricule des Anges n°25 , janvier 1999.