Après sept ans de chaos et des dizaines de milliers de morts, l’Algérie rêve aujourd’hui de concorde civile. Une paix de résignés ou un sursaut de la conscience collective ? « Les gens se sentirent fatigués de penser, une lassitude s’abattit sur l’intelligence, et la raison vacilla », écrit Tahar Djaout pour comprendre les racines de la tragédie. Cette figure symbolique de la résistance algérienne contre le fanatisme religieux paya lourd sa lucidité : il fut assassiné le 2 juin 1993. Ce roman posthume, magnifique, montre la profondeur du traumatisme, et le lourd climat de peur et de renoncement lorsque subitement « la nuit bouscule le jour ». Si le quotidien algérien s’enfonce dans les ténèbres, Boualem Yekker, lui, petit libraire de quartier, refuse la barbe et la gandoura. Sa femme et ses enfants l’ont quitté pour rejoindre les Frères Vigilants. Le cœur empli d’un avenir meilleur, Boualem se bat avec ses livres, ses rêves et ses désirs contre l’Ordre nouveau. Mais que peuvent la culture et l’amour contre « les thérapeutes de l’esprit » qui infestent la société de leur venin moyenâgeux. Contre les couteaux qui menacent le mécréant. Contre le règne de la conspiration et du silence. Contre l’absurdité du Texte qui va même interdire les bulletins météo à la télévision (c’est une offense de prévoir ce que seul Dieu sait). Djaout prouve que le totalitarisme intégriste, armé de son Dieu vengeur, engendre des « bêtes d’affût », bâillonne l’individu, le nie, broie son corps et son âme. Pris au piège, « il n’a plus ni bouche, ni estomac. Il n’est plus que masse de nerfs vibrants. » Écrit dans une langue superbe, ce court roman porte le deuil d’un pays dont la nuit n’en finit pas de tomber. La dernière phrase sonne comme l’espoir d’un lendemain qui chanterait : « Le printemps reviendra-t-il ? »
Le Dernier Été de la raison
Tahar Djaout
Éditions du Seuil
128 pages, 75 FF
Domaine français La hache de la foi
octobre 1999 | Le Matricule des Anges n°28
| par
Philippe Savary
Un livre
La hache de la foi
Par
Philippe Savary
Le Matricule des Anges n°28
, octobre 1999.