Ernst Weiss (1882-1940) demeure aussi célèbre pour son talent littéraire que pour avoir relaté dans Le Témoin oculaire (traduction française chez Gallimard) comment il soigna Hitler, alors atteint de cécité hystérique, pendant la Première Guerre mondiale. Certaines histoires juives font vraiment rire jaune.
Nouvelle découverte à titre posthume, Jarmila se présente comme un modèle pour tous les amateurs de forme courte (d’autant que notre écrivain la conçut comme un hommage à Stefan Zweig, autre maître incontesté du genre). Sous couvert d’une intrigue plutôt banale -histoire d’adultère villageois compliqué d’un double homicide- Ernst Weiss bâtit un impeccable récit au moyen d’accessoires des plus prosaïques : une montre et quelques plumes d’oie. Au fil des épisodes, les métamorphoses et significations successives de ces deux éléments servent de moteur à l’histoire et se révèlent aussi passionnantes que les péripéties proprement dites du livre. Exemple d’efficacité et d’économie narratives à méditer dans tous les ateliers d’écriture, de même que le bouleversant retournement de situation qui s’opère dans les dernières pages (impossible d’en dire plus). Il se pourrait cependant que le texte émeuve davantage encore qu’il impressionne. Car si l’auteur, alors exilé en France, ignorait en composant cette Histoire d’amour en Bohême qu’il revenait pour la dernière fois en pensée vers son monde slave natal (il vit le jour en Moravie), le lecteur devine pour sa part que les curieuses stridences et singuliers contretemps des deux premiers chapitres donnaient à voir en filigrane une ligne de vie brisée.
Ernst Weiss n’eut pas loisir de se demander si on pouvait encore écrire après Auschwitz : il se donna la mort en juin 40, le jour même où les troupes allemandes entraient dans Paris.
Jarmila
Ernst Weiss
Traduit de l’allemand
par Pierre Deshusses
Actes Sud
128 pages 69 FF
Domaine étranger Dernier passage du témoin
mars 2000 | Le Matricule des Anges n°30
| par
Eric Naulleau
Un livre
Dernier passage du témoin
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°30
, mars 2000.