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Nouvelles Sous le signe de Cloclo

janvier 2001 | Le Matricule des Anges n°33

Ce célibataire né en 1959 vit dans la région de Rouen où après avoir travaillé dans la publicité, il donne des cours de communication. Il a publié un premier roman aux éditions Pétrelle, Ex Corpore (1999) et a contribué aux aventures du Poulpe avec son Lisier dans les yeux. Dernièrement la revue La Voix du regard a publié une de ses nouvelles. Apprécie la fantaisie et le travail sur l’écriture, lit Lautréamont, Baudelaire, Maupassant.Et vient de dévorer Qui a tué Roger Ackroyd ? de Pierre Bayard (Minuit).

Claudine et moi, on s’est connus au travail il y a cinq ans, au centre des Impôts du 2e arrondissement. Elle venait d’être nommée au poste de contrôleuse dans la première brigade de vérifications de Paris-Centre. Nous étions donc collègues.
Dès le début, quelque chose de très fort nous a attirés l’un vers l’autre, une sorte d’impulsion animale. Claudine avait une apparence banale, insignifiante même, mais c’est cette insignifiance sans doute qui a éveillé ma curiosité, car je croyais y lire alors un certain mystère. Elle avait quand même une particularité physique, c’était ses dents de devant qu’elle avait écartées, comme Sylvie Vartan ; les dents du bonheur, me disais-je en la regardant sourire. Quelle plus belle promesse pour nous deux…
Tout est allé très vite entre Claudine et moi. On a lié connaissance devant la machine à café, on a échangé des œillades à la sortie des toilettes et enfin un soir, quelques minutes après dix-huit heures, alors que les bureaux venaient de se vider entièrement, on s’est aimés sur la photocopieuse.
C’était le bonheur, l’union parfaite. Nous étions tellement bien ensemble, tellement sûrs d’être faits l’un pour l’autre, que moins d’une semaine plus tard nous avons décidé de nous mettre en ménage.
Il faut dire que nous avions beaucoup de choses en commun : un travail ennuyeux, une chef de service acariâtre, un salaire médiocre mais aussi et surtout un passion dévorante pour Claude François. Sa mère l’avait d’ailleurs prénommée ainsi en hommage à notre grand chanteur populaire trop tôt disparu.
J’ai vécu toute cette période sur un petit nuage. Au travail, je n’avais plus les yeux rivés sur la pendule comme les collègues. Avec Claudine on avait presque l’impression d’être à la maison. On faisait des mots fléchés ensemble, on décidait du programme télé. Claudine me demandait ce que je voulais manger le soir, si j’avais faim. Je lui répondais « Alexandrie, Alexandra, j’ai plus d’appétit qu’un barracuda ».
Cloclo était omniprésent dans notre relation. Lorsque par exemple, au lendemain d’un week-end pluvieux, le soleil faisait son apparition pendant les heures de bureau, nous restions collés le nez à la fenêtre en chantonnant : « Les lundis au soleil, c’est une chose qu’on aura jamais… »
On passait des journées entières à se poser des questions sur la vie et les chansons de notre idole. Le Cloclo Quizz qu’on appelait ça. Parfois, quand un contribuable redressé par Claudine téléphonait pour implorer son indulgence, elle me faisait un clin d’œil et se mettait à fredonner : « Le téléphone pleure… ». On s’amusait comme des enfants.
Et puis ce fameux samedi soir est arrivé. Le samedi soir, quand on n’était pas de sortie chez les parents de l’un ou de l’autre, j’avais l’habitude d’emmener Claudine au cinéma. Après le cinéma on allait à la pizzeria ou au chinois et après manger, on rentrait à la maison se coucher. Cette fois-là donc, on rentre à la maison, on se met au lit, et comme tous les samedis soir vers minuit, on commence notre affaire.
Cinq minutes se passent, quand soudain, une intuition atroce me saisit. Je rallume aussitôt. En général, je laisse toujours un peu de lumière dans la chambre, mais là depuis quelques jours, Claudine avait un vilain bouton sur le nez. Bref, je rallume, et transi d’anxiété, je lui demande si elle s’ennuie de moi. Elle me répond par l’affirmative. Le monde s’écroule.
Il a bien fallu se rendre à l’évidence, l’habitude, ce virus insidieux de la vie conjugale, avait tué notre couple. Le syndrome du « passe-moi le sel » avait encore frappé. « Je me lève, et je te bouscule, tu ne te réveilles pas, comme d’habitude… » À la suite de cette funeste soirée, cet air ne me quitta plus.
Dans le service, je devins vite méconnaissable. J’avais perdu le goût de ne rien faire ; obsédé par mes problèmes sentimentaux, je me réfugiais dans l’excès de zèle. Certains jours, j’étais tellement mal dans ma peau qu’il m’arriver de quitter le bureau à dix-huit heures vingt ou même trente. Mes collègues commençaient à s’alarmer de ce comportement aberrant.
Les contribuables eux-mêmes, quand je débarquais chez eux au petit matin, se doutaient bien que je n’étais pas dans mon état normal. Malgré leurs justificatifs, leurs supplications, leurs pleurs même, je multipliais les majorations, les taxations d’office, les redressements exorbitants. C’était plus fort que moi, j’avais besoin de les sentir en osmose avec ma détresse.
Claudine, de son côté, ne venait plus au bureau que deux ou trois fois par semaine, ce qui passait d’ailleurs inaperçu. Lorsqu’elle était là, nous évitions soigneusement de nous croiser, en particulier devant la photocopieuse chargée de tant de souvenirs.
Ça ne pouvait pas continuer ainsi. Un soir à la maison, Claudine a posé un vieux 45 tours sur la platine : « Toi et moi, amoureux, autant ne plus y penser, on s’était plu à y croire mais c’est déjà une vieille histoire… ». Dans la foulée elle m’a annoncé qu’elle avait obtenu une mutation aux contributions indirectes et surtout qu’elle avait rencontré un autre homme, l’ancien chauffeur de Cloclo.
J’étais fou de rage. Je ne sais pas ce qui m’a empêché de la frapper ; rien sans doute puisque je lui ai cassé ses deux dents de devant, les fameuses dents du bonheur… Si elle ne s’était pas défendue, je crois bien que je l’aurais tuée ; je lui criais : « oh oh, oh oh ! Si j’avais un marteau… » Tu es un minable ! m’a-t-elle lancé, la bouche en sang. Jamais Claude n’aurait battu une femme…
J’ai tout tenté pour reconquérir Claudine. Je lui ai offert des bouquets de magnolias, un billet d’avion pour Rio… de Janeiro. Je me suis fait teindre en blond comme Cloclo. Je l’ai appelée en pleine nuit pour lui dire mon désespoir : « Je me sens mal aimé, je suis le mal aimé… » Rien n’y a fait. Claudine m’avait quitté ; elle ne reviendrait plus.
Pendant les premiers jours, au plus profond de ma douleur, j’ai sérieusement pensé à dévisser une ampoule dans mon bain. Mais maintenant, peu à peu, je remonte la pente. Il y a une petite nouvelle au bureau. Elle me plaît bien ; elle ressemble vaguement à Claudine. Il n’y a qu’un problème ; elle n’aime pas Claude François. Son genre à elle c’est plutôt NTM, mais je ne désespère pas de la convertir un jour.
Avec Claudine, on ne se voit pratiquement plus. Il y a quelques semaines, comme elle savait que je n’allais pas très fort, elle m’a passé un coup de fil.

 Restons bons amis m’a-t-elle dit. Après tout la vie continue, c’est ça le plus important, non ? Elle s’est alors éclairci la voix et dans un bel éclat de rire, elle a entonné : « C’est la même chanson mais la différence c’est que toi tu n’es plus là… »

Sous le signe de Cloclo
Le Matricule des Anges n°33 , janvier 2001.
LMDA PDF n°33
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