Le 10 novembre 1983 fut l’occasion d’une remarquable coïncidence. En ce même jour passèrent de vie à trépas Leonid Brejnev, président en exercice de l’Union soviétique, et Sacha Sagalnik, célèbre disident russe déjà passé à l’ouest depuis quelque temps. Unis dans la mort, ces deux hommes se distinguent cependant l’un de l’autre sur un point essentiel : si le premier figure bel et bien dans tous les livres d’histoire, le second n’eut jamais d’autre réalité que dans l’imagination de David Markish (né en 1938), déjà remarqué avec Souvenirs d’un fossoyeur (Noir sur Blanc, 1995). À partir de ce coup du sort imaginaire, l’auteur exécute à grands traits un tableau du pays des Soviets -depuis les années de stagnation jusqu’à l’avènement du tsar Boris- dont l’originalité tient à ce qu’il s’irise des couleurs d’un prisme juif. Pensionnaires d’un hospice ou petits malfrats, trafiquants de meubles anciens ou fonctionnaires du KGB, tous les lointains fils d’Israël qui tiennent ici les premiers rôles ne se posent qu’une question à travers les péripéties de leur vie personnelle ou de l’histoire en marche : partir ou ne pas partir « là-bas » ? Là-bas, en terre de Sion, où les attendent « la mer chaude, la plage propre, la maison dans un jardin d’orangers et le rocking-chair sous la véranda. »
À une trame policière plutôt lâche -un trafic de titres de propriété palestiniens- David Markish mêle une intrigue politique et une attachante évocation de la société russo-juive, le tout finement saupoudré d’un humour inimitable, dont cet aperçu du philosémitisme post mortem chez le Russe moyen peut donner quelque idée : « Le Russe n’accorde aucune attention à son voisinage dans le sommeil éternel, pour lui la mort est réconciliatrice et égalisatrice. Reste là si tu veux, sale gueule de youpin, grand bien te fasse. »
Enfin comme tout le monde
David Markish
Traduit du russe
par Wladimir Berelowitch
Noir sur Blanc
320 pages, 129 FF
Domaine étranger Sion et lumière
janvier 2001 | Le Matricule des Anges n°33
| par
Eric Naulleau
Un livre
Sion et lumière
Par
Eric Naulleau
Le Matricule des Anges n°33
, janvier 2001.