La Correspondance d’Érik Satie a beau n’être qu’incomplète, elle est épaisse comme un volume du Bottin. On savait l’oiseau épistolier, ce n’est donc pas une surprise, même si la légende laisse entendre qu’il n’a jamais ouvert une lettre reçue ni expédié ses propres lettres d’amour. Mais l’analogie de l’annuaire s’impose doublement car Ornella Volta, la grande prêtresse du culte satique, a consacré aux correspondants du musicien une notice soulignant les liens qu’ils entretenaient avec l’auteur des Trois Morceaux en forme de poire. C’est donc bien un ouvrage de référence que l’on a entre les mains, un panorama souriant de la société littéraire, artistique et musicale des années 1890-1925.
Né en 1866, Satie destine au patron du Chat noir le premier billet retrouvé -il en manque encore, cloîtrés dans des collections privées. Billet est bien le terme adapté car à l’exception de rares longues lettres, ce sont le tac-au-tac ou l’urgence qui lui font prendre la plume. Affaires de musique ou d’amitié, il jette le message sans omettre une petite pincée de fadaises et de coquineries, recommandant à un jeune père, par exemple, de ne pas brutaliser son enfant. Depuis la publication de ses Écrits (1977, rééd. Ivréa, 1990) on sait à quelle effervescence s’en tenir.
Ses petites phrases entrecoupées bouillonnent d’exclamations tonitruantes qu’il calligraphie avec soin. S’il décline une invitation, c’est avec les effusions du potache : « Moi qui aurais tant aimé ça ! Quelle déveine !/ Pauvre de moi !/ Comme c’est gai !/ Que faire ? » Ses amis Henri-Pierre Roché, Gertrude Stein, Picasso, Tzara, Cocteau, Radiguet, Derain, Picabia, Ravel, Pierre de Massot, la belle Irène Lagut ont eu le plus amusant des correspondants. « Merci pour mon portrait : très belle idée. Entre nous : cela changera un peu de cette sacrée Joconde, si bête et si ratée. »
Correspondance presque
complète
Érik Satie
Fayard/Imec - 1237 pages, 290 FF
Histoire littéraire Sourires de la poste
avril 2001 | Le Matricule des Anges n°34
| par
Éric Dussert
Un livre
Sourires de la poste
Par
Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°34
, avril 2001.