La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine français Le jardin d’acclimatation

septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36 | par Benoît Broyart

Dans son quatrième roman, Marc Trillard relate la mobilisation d’une population contre l’arrivée d’une modernité aliénante poussée par une autorité sans fondement. Un texte implacable.

Campagne dernière

La Concorde, territoire français oublié au milieu de l’océan. Victor Levantin y exerce la profession de médecin des os dans les collèges de l’île. Pour rien au monde, il ne quitterait l’espace tropical où il a débarqué il y a dix ans. « C’est une petite terre, une particule volcanique émergée au large du continent originel africain, la poussière d’un empire défunt. L’ex-empire détient toujours une souveraineté de droit sur la particule émergée si loin de ses frontières constitutionnelles, voilà pourquoi on y vit à peu près selon le modèle de société forgé dans l’autre hémisphère, à quelque sept ou huit mille kilomètres. » Levantin est obsédé par la peau noire des femmes « nées pays ». Il multiplie les rencontres, photographie les jeunes femmes et leur consacre même un livre des « créatures ». « Mais les peaux, surtout. Les peaux me bouleversent et m’ébranlent jusque dans les os, jusqu’à la moelle. Les peaux me ravissent, qui m’emportent à travers leur continent d’origine, m’entraînent en pays bangala, mbundu, kasaï et katanga, dans les villages et hameaux où gisent les perles et les pierres précieuses aux ongles fendus. » Peu à peu, le médecin se fond dans le paysage tropical, comme s’il cherchait finalement à se débarrasser de sa peau de « métro » pour en revêtir une plus sombre. La Concorde agit comme un perpétuel aimant. « J’ai assisté à ce séminaire dans un fragment de la France d’outre-mer où s’est déclenché ce processus de dépossession et d’abandon. » Comme on s’enfonce dans la jungle, Levantin laisse peu à peu le pays se refermer sur lui et réalise ainsi son rêve d’assimilation, heureux de pouvoir s’adonner chaque jour à la touffeur des lieux. « Brutalement, une averse s’abat sur la rue du Port, éteignant ce qui restait du jour. Avec la pluie, la nuit vient d’envahir Trois-Pontons. Je ne suis plus là. Je suis sur ma varangue. J’ai laissé tomber mes vêtements sur les planches de vomiquier. Je frôle de mes seins les ailes des papillons roses, des papillons mauves dans les bougainvillées, et je caresse le feuillage des fougères géantes sur la longueur de leurs rames… » La Concorde, pour Levantin, n’est pas loin de ressembler au paradis, un paradis peuplé de déesses noires.
Marc Trillard, prix Interallié en 1994 avec Eldorado 51 (Phébus), navigue en maître au travers d’images fortes et toujours incarnées. Il place des corps derrière chaque élément de la végétation luxuriante de l’île. Tout devient odeur, chaleur, peau.
La petite société de La Concorde respecte des traditions ancestrales, comme le mapouka, danse sensuelle et provocante. Elle se plie difficilement aux règles dictées par la métropole. C’est là pourtant, que l’îlot puise son équilibre, dans le compromis qui le fonde. Les « métros » qui vivent là et côtoient les « nés-pays » se sont faits à la lenteur et à la chaleur, à la belle paresse qui conditionne chacun de leur mouvement.
L’arrivée de Sigismond Hass, nouveau préfet nommé à La Concorde, change radicalement la donne. Autoritaire, rongé par le désir de pouvoir, l’homme dont c’est le dernier poste, souhaite réaliser de grands projets, imposer ses marques au territoire et finir sa carrière en beauté. La construction d’une route qui traversera l’îlot fait partie de ses premières investigations. Progresser, préparer l’avenir, voilà le prétexte invoqué. Les travaux commencent sans que personne n’ait été consulté sur le tracé de la route.
On pourrait trouver la situation mise en place par Marc Trillard trop tranchée, trop binaire presque. Elle manque de nuances, c’est vrai, mais peu importe. Car l’écrivain parvient à donner au roman, sur toute sa longueur, une belle puissance de feu. Le récit suit en effet une progression parfaite vers la violence et la guerre. Campagne dernière est un texte assez implacable, sa force d’évocation repose sur le mouvement d’opposition généralisé qui s’épaissit au fil des pages. Car la population pacifique est prête à tout pour ne pas laisser la route gagner du terrain et ronger la forêt. Levantin et Hass figurent les deux extrémités de ce conflit en marche. Ils en sont la représentation la plus nette. Le préfet s’installe dans l’autorité malsaine, imposant le passage de la route au milieu d’un site sacré grâce à l’appui des militaires, tandis que Levantin, pour continuer à s’imprégner des couleurs de l’îlot, décide de prendre les armes avec une partie de la population. Le préfet regarde l’île de haut et Levantin continue de se dissoudre dans les traditions en place.
La machine romanesque de Marc Trillard est parfaitement articulée. Mise à l’index du mapouka, jugé obscène, séquestration du journaliste local, de nombreux éléments participent à la montée inexorable de la tension. Hass est un porc qui ne se préoccupe pas du bien public. Sa route constitue en fait « un exercice de pouvoir. La mise à l’épreuve de la décision d’un préfet sur le territoire de son administration. »
Le regard de Marc Trillard se révèle perçant et juste. Car le romancier possède avant tout les yeux grand ouverts d’un voyageur (il a publié plusieurs récits de voyage) et la sympathie de l’observateur ému par la diversité des corps et du monde.
Avec Campagne dernière, on se familiarise avec des blessures qui pourraient être celles de bien d’autres territoires. Le serpent de bitume progresse à chaque chapitre et la route trace une large plaie au centre de la végétation tropicale.

Campagne derniÈre
Marc Trillard
Phébus
304 pages 127,90 FF (19,50 )

Le jardin d’acclimatation Par Benoît Broyart
Le Matricule des Anges n°36 , septembre 2001.