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Revue Nous deux encore...

septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36 | par Emmanuel Laugier

Avant de se donner la mort en avril 1970, Paul Celan a passé la moitié de sa vie à Paris. C’est là qu’il y a rencontré sa future femme Gisèle de Lestrange. Leur correspondance témoigne magnifiquement des liens entre vie et création de deux êtres.

Correspondance

Europe N°861-862

Paul Celan, né Paul Pessach Antschel, aura vécu ses vingt-huit premières années en Bucovine, province roumaine avant d’être annexée à l’Ukraine en 1939, puis envahie par les troupes hitlériennes en 1941. Alors que les Soviétiques s’étaient déjà rendus responsables de la déportation de quatre mille personnes en Sibérie, juifs pour les trois-quarts, les brigades SS multiplient les exactions, et déportent. Paul Celan est témoin de tout cela : incendies de synagogues, création du ghetto en octobre 41… Il réussit à quitter sa ville, Czernowitz, en 45 et rejoint Bucarest, puis, en 47, l’Autriche. À Vienne il y rencontre la poétesse Ingeborg Bachman avec qui il a une liaison amoureuse. Le 13 juillet 48, il est à Paris. Il ne quittera alors plus la capitale sinon pour de brefs séjours à l’étranger. Paul Celan n’a alors publié que quelques poèmes en Roumanie et à Vienne, Le Sable des urnes (1948) et, sous le titre de Todestango, La Fugue de mort, l’une des parties bouleversantes de son premier livre Pavot et mémoire (1952). Hanté par ce qu’il a pu voir de l’abomination nazie, hanté par cette langue maternelle désormais entachée à jamais par le génocide juif, Celan écrira, comme le précisait l’un de ses traducteurs Jean-Pierre Lefebvre, non pas une poésie de « l’après-Auschwitz, mais (celle) qui est » d’après Auschwitz « , d’après les camps, d’après l’assassinat de la mère, d’après les chambres à gaz, au sens ou d’après veut également dire » en fonction de…«  ».
Tenu à ce possible-impossible témoignage, témoin de ce dont aucune langue ne peut témoigner, Paul Celan ne cessera toute sa vie de nier, par ses livres mêmes, la phrase du philosophe allemand Adorno, celle-là qui disait la poésie impossible après Auschwitz. Et malgré son acharnement contre cette phrase, Celan traverse la nuit. À Paris, entre lui et celle qui deviendra sa femme, Gisèle de Lestrange, les hantises reviennent, le portent jusqu’au bord de la folie, le frappent d’une mélancolie terrifiante. Aujourd’hui publiées, les lettres, écrites en français, en témoignent avec une netteté frappante, que seule l’intimité d’un couple put dire. Mais, pourtant, rien qui ne vienne ici vulgariser, dans le sens de rendre accessible et dans celui, aussi, de rendre voyeur. La force de cette correspondance est qu’elle tisse infiniment le rapport d’une vie à l’écriture, à la lecture et à la création en général.
Constituée de 568 lettres, écrites dès le début de leur relation à l’automne 1951, la correspondance s’achève un mois avant la disparition tragique du poète. Soit dix-neuf années durant lesquelles, de Paul à Gisèle, et de Gisèle à Paul, on assiste à l’approfondissement de toutes les questions d’une existence : les poèmes et les livres de Paul, le travail de graveur de Gisèle (reproduit en annexe avec des documents iconographiques), les traductions, les amis, le linge, le souci d’argent, le logement, telle blessure, leur fils Éric…
Entre eux, tout s’émancipe donc, mais, paradoxalement, tout s’émancipe aussi à partir de la traversée de crises, de mouvements violents. Paul Celan est interné à plusieurs reprises à partir de 1960 en service psychiatrique, il tente également de mettre fin à ses jours dans sa mansarde (janvier 1967). Certaines lettres en rendent compte précisément, jusqu’à celles où l’écriture de Celan est comme frappée de démence, quasi-incompréhensibles. Ces lettres sont présentées, rassemblées et annotées avec une précision et un soin exceptionnel par Bernard Badiou, le maître d’oeuvre de ce projet. Renvoyant également à une chronologie complète de la vie de Paul et Gisèle, à un index des personnes et des titres des oeuvres de chacun, ce travail titanesque, d’une rigueur rare aujourd’hui, permet de suivre pas à pas les événements que chacun traverse, et ce, sans qu’aucun malentendu ne soit possible. Lorsqu’une trace manque à l’appui d’une hypothèse, celle-ci est tue. Telle est l’éthique de ce travail d’éditeur.
Mais revenons aux lettres : il est frappant de voir en elles, noir sur blanc, comment la douceur gagne toujours sur la tension des états psychiques, comment le travail de Paul, par des lettres-poème, se donne, est encouragé, jamais interprété en tant que tel. La liste des surnoms qu’ils emploient pour signer leurs lettres (votre petite Ramille, Maya, Ton poéteux amoureux de vous, Almaviva, Votre petite mèche, Boisgentil…) fait partie, avec humour, de ces mêmes mouvements. Ressort, dans tous les cas, alors que les relents d’antisémitisme sont rappelés par Celan lors de ses voyages en Allemagne, le sentiment d’un couple qui résiste à l’envahissement du mépris et de la haine. Il s’agit de tenir, de marcher ensemble, debout. De maintenir une dignité de la parole dans leur relation. Cette correspondance exceptionnelle est essentielle à la compréhension de la complexité créatrice de Paul Celan. Elle éclaire aussi bien l’intransigeance de l’homme (envers les staliniens par exemple) que le contexte de l’après-guerre en Europe.
Le numéro que la revue Europe consacre à Paul Celan, dirigé par Fernand Cambon, ancien élève de Celan, rassemble des témoignages, des entretiens (Jacques Derrida et Bernard Badiou) et des analyses de l’oeuvre. Le texte de Jean-Pierre Lefebvre sur Le Dialogue dans la montagne (1960) et la rencontre manquée avec Adorno est à ce titre un modèle. Ce volume est à la fois une introduction très dense et un véritable travail critique sur l’oeuvre d’un des plus grands poète de langue allemande du XXe siècle.

Correspondance (2 tomes)
Paul Celan/Gisèle Celan-Lestrange
édition de Bernard Badiou
assisté d’Éric Celan
Seuil
720 et 785 pages, 380 FF (57,93 ) les deux volumes
Europe No 861-862
330 pages, 120 FF (18,29 )

Signalons également la parution aux Éditions Léo Scheer de Caillou blanc pour Paul Celan de la peintre Colette Brunschwig (50 pages, 328 FF), ouvrage constitué de 17 huiles autour du recueil de poèmes de Celan La Rose de personne.

Nous deux encore... Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°36 , septembre 2001.
LMDA papier n°36
6,50