L’habillage de Tamara a de quoi dissuader. Mieux vaut ignorer son affreuse couverture (deux jambes enjarretellées, genre défilé chic) et un texte de présentation crétin (vantant ce livre « chaud venu du froid », soi-disant fondateur de l’érotisme finlandais -lesquels auraient attendu 1972 pour parler de ça ?).
Reste encore à surmonter l’incipit, où l’on découvre un narrateur, irrémédiablement impuissant depuis un mystérieux accident, menant avec Tamara, femme-aux-multiples-aventures, un drôle de manège : elle revient toujours vers lui, il lui demande de narrer par le menu ses étreintes…
On se croirait donc en terre (bêtement) torride. Rien de plus faux, finalement : à aucun moment, Eeva Kilpi ne cherche à exciter son lecteur, s’attachant bien plutôt à décrire, dans toute sa richesse, l’intimité douloureuse de deux « parents d’élection ». Lui, point fixe du récit, épris de beauté et empêché dans ses mouvements, s’abîme dans un sentiment tour à tour oblatif et jaloux, contraint qu’il est de revivre et d’identifier les gestes de l’amour au travers de leur seule relation : « Elle glane une habitude par-ci, une autre par-là, au gré de ses rencontres, et moi, sa mémoire, je suis le seul à savoir de qui elle les tient ».
Elle, la récitante fantasque, finit par s’avouer amoureuse inconditionnelle et délaissée, éprise d’une impossible permanence. À chacun son impuissance : au bout du compte, ils se rejoindront pour concéder, dans un bel aveu, que la vie ne leur « réussit pas ». Et nous voilà tout simplement aux prises avec un livre d’amour, avec ce que cela implique de langage singulier, comme retranché de la société des hommes. Un livre peu construit, qui peut apparaître volontiers bavard et digressif, mais dont la tristesse se laisse difficilement oublier.
Tamara
Eeva Kilpi
Traduit du finnois
par Inkeri Tuomikoski
10/18
316 pages, 50 FF (7,62 €)
Domaine étranger Tamara
septembre 2001 | Le Matricule des Anges n°36
| par
Gilles Magniont
Un livre
Tamara
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°36
, septembre 2001.